L'expérience collective (en salle) puis individuelle (le cheminement intellectuel et émotionnel) d'un film devenu classique cristallise les émotions avant de finir en partage communautaire et générationnel. La popularité d'un long métrage suivi de l'appropriation toute personnelle termine de transformer le concentré artistique en oeuvre culte au point que selon certains critiques de notre temps : "le film n'appartient plus à son créateur mais au spectateur." Une assertion toute relative et somme toute fortement discutable. Désormais intouchable, une éthique artistique s'installe comme une aura protectrice autour du précieux et gare aux gougnafiers qui tenteraient de s'en emparer. Si l'on sort de l'impératif d'ordre économique, l'œuvre originale a le droit de se réactualiser et de ne pas rester figée dans le temps. Un nouveau statut qui risque d'inspirer la méfiance. Le remake est né et n'aura jamais de partisan même s'il est à noter que le cinéphile émerge de son amnésie partielle lorsque l'on évoque les innombrables réussites de l'exercice entre les mains expertes de Joseph Losey, Steven Spielberg, John Carpenter, David Cronenberg, Martin Scorsese, Brian De Palma, Douglas Sirk, Michael Haneke, Fede Alvarez ou encore Frank Capra... Hitchcock venant donner l'estocade avec sa réactualisation très fifties de L'homme qui en savait trop. Un coup de glamour et d'exotisme en Technicolor administré par le Maître lui-même sans que cela soulève l'indignation générale... Le remake faisant foi de sa modernité grâce à une puissance de feu en adéquation totale avec les canons de son époque au regard de l'original asséché par le format et le noir & blanc.


L'action même "d'arracher" une oeuvre de son contexte puis d'enjoliver ses formes et de moderniser son verbe dans une époque plus contemporaine mérite-t-elle d'être assimilée au nom de "remake". Étymologiquement "re-faire" conviendrait plus à cette poignée de films maudits qui ont eu l'audace ou l'outrecuidance d'adopter la technique du copiste soit du métrage décalqué au plan près. En premier lieu, il est essentiel de sortir le Psycho de Gus Van Sant du débat stérile dans lequel il baigne depuis plus de deux décennies. Son existence tiraillée entre réappropriation honteuse et incompréhension du geste garde en son sein le secret de ses motivations premières. À l'instar d'une peinture accrochée à l'envers dont on peine à décrypter le sens, le sentiment de rejet prime sur le questionnement de la recherche fondamentale des intentions. Psycho oscille délibérément entre concept et expérimentations, Art, philosophie et oeuvre profondément commerciale. Des considérations qui élève le débat et écarte les amalgames fait avec le Funny Game U.S de Haneke , le Guilty d'Antoine Fuqua ou encore Le Roi Lion de John Favreau motivés par l'accessibilité aux nouvelles technologies et à la langue universelle par voies mercantiles.


Le film de Gus Van Sant ne s'adresse pas aux élitistes, seulement aux "investigateurs passionnés" qui auront su gratter la surface du Psychose de Alfred Hitchcock et s'interroger sur l'idée de reproduction de ses formes. Jean Baptiste Thoret avec qui l'auteur de ces lignes à échangé à la fin des années 90, s'était exprimé sur le travail raffiné du copiste attestant que le plaisir du cinéphile serait bien plus sollicité que celui du grand public. Van Sant est un artiste mais aussi un théoricien du Septième Art. Pas au sens "Godardien" où l'on rompe brutalement la relation fascinante entre l'image et son spectateur par une fantaisie de montage mais un expérimentateur des dispositifs narratifs au sein de la fiction pure (étirement du temps - multiplication des points de vues). À l'évidence, la communication orchestrée autour du remake de Psychose démontrait spontanément les choix de convergence et de divergence de l'auteur d'Elephant envers son modèle. Avant même de pointer une loupe au-dessus de la copie, l'affiche de Psycho dénote artistiquement avec celle de 1960 et sa politique des acteurs mise au premier plan. Van Sant met un mouchoir sur son égo de cinéaste et le cast encore si peu connu est inscrit en minuscule. Il ne reste qu'un instantané, une image en couleur de la victime sous la douche autrefois incarnée par Janet Leigh. Les intentions sont clairs, Psycho isole la scène la plus douloureuse de l'histoire du cinéma et en fait son leitmotiv. Une femme nue, donc vulnérable, associée à un bain de sang à partir de la taille, le visage ne révélant rien de l'identité de l'actrice du fait de l'accumulation d'eau sur son corps créant une ambiance délétère. Dans le subconscient du spectateur, seule la mythologie demeure, celle du Motel Bates et de son décorum universellement connu. Alors qu'Hitchcock insistait sur l'érotisme du personnage de Marion Crane et la folie de Norman Bates au-dessus du titre du film teinté d'un blanc immaculé et déchiré par les ondes sonores d'un hurlement, Van Sant restitue le caractère horrifique en colorant les lettres en rouge. Psycho est une invitation à revivre le cauchemar en couleur au travers de sa scène la plus identifiable. Le secret étant éventé, autant représenter artistiquement sa catharsis lors de sa promotion. À cet instant, il n'y a plus de Hitchcock, ni même de Van Sant pour tirer les ficelles mais une idée - un photogramme unique synthétisant une scène reconnaissable entre mille.


Psycho conte l'histoire d'une oeuvre sur une symétrie asymétrique. Un faux parallélisme comme pouvait l'être le Psychose de 1960 envers le roman de Robert Bloch. De sa version littéraire, Norman Bates deviendra devant la caméra d'Hitchcock, un jeune homme séduisant à défaut d'un quadragénaire bedonnant. C'est l'un des changements les plus accomplis tout comme l'édulcoration de la violence et ses décapitations granguignolesques remplacées par les chairs lacérées d'une lame phallique d'un couteau de cuisine. Le scénario de Joseph Stefano corrige le trait épais de l'oeuvre de Bloch. Si le roman de gare peut être perfectionné par la plume du scénariste, le théâtre et la peinture pourront-ils fournir suffisamment d'arguments valables pour convaincre que l'exercice du remake selon le réalisateur de Gerry est indissociable du Septième Art ? La réponse est sans appel. Psycho poursuit une quête philosophique impossible, celle de traverser artistiquement le temps (s'offrir une nouvelle existence) tout en respectant ses auteurs et en regardant droit dans les yeux son public actuel. Anthony Perkins et Alfred Hitchcock avaient évoqué l'envie de prolonger Psychose par une pièce de théâtre. Peu de personnages, des scènes en intérieur et des décors évocateurs, les repères dans l'espace se prêtant délicieusement à la scène. Le projet n'aboutira pas, seulement la version de 1998 vient à point pour répondre aux attentes du metteur en scène des Oiseaux. La fonction de Van Sant est celle d'un dramaturge puisqu'il va littéralement mettre en scène une pièce qui a eu lieu quarante ans auparavant en respectant les codes sociétaux/sociaux contemporains. Dramaturge mais aussi copiste d'une autre forme d'Art, celle de la peinture, il va en conserver les valeurs de plans et la taille des sujets tout en emplissant le cadre d'une saveur nouvelle : le degré de jeu des acteurs légèrement en diminuendo et plus conforme à la tonalité de notre époque. Car comme toute nouvelle représentation, le metteur en scène applique le texte d'origine (la musicalité du montage) puis redéfinit les personnages avec pour dessein de livrer une copie inexacte. La Marion Crane de Anne Heche perd en glamour et en assurance par rapport à Janet Leigh mais gagne en fragilité et en douceur. De son côté le Norman Bates incarné par Vince Vaughn se défait de sa séduction d'origine pour révéler de prime abord une sexualité refoulée et impose une inertie de corps bien plus importante que celle de Perkins plus élancé à la manière...d'un volatile.


Mais s'il ne s'agissait que d'un jeu des sept erreurs, Psycho n'en demeurerait qu'un film ludique sans véritable sens. Hitchcock et Van Sant ont composé leur métrage avec l'idée commune d'un langage cinématographique différent afin d'emmener le spectateur de la ville de Phoenix en Arizona à un Motel paumé en rase campagne ou plus simplement d'une sécurité urbaine et collective à l'abandon rural. En 1960, le réalisateur de Vertigo shoot en noir & blanc et tel un architecte conçoit son oeuvre de manière géométrique. (Carpenter a élaboré Halloween de cette façon) Du générique d'ouverture de Saul Bass laissant apparaître des droites horizontales et verticales en passant par les panoramiques gauches-droites en fondu enchainé illustrant les buildings de Phoenix, Hitchcock trace un trait/ la route de Marion Crane dans un environnement labyrinthique. Le destin de la jeune femme semble scellé lorsque son visage enserré dans un plan rapproché (le cadre dans le cadre) épouse la vitre arrière de son automobile. Arrivé au Motel Bates, la perspective des formes angulaires vole en éclat. Crane met un premier pied dans ce qui sera sa dernière demeure.


Gus Van Sant aura beau reprendre le générique de Bass et répondre aux attentes techniques du Maître, son film en couleur n'aura jamais la même connotation mathématique implacable. Et pour cause, son choix se portera sur trois dominantes qui illustreront son remake et conduiront le spectateur en enfer à l'image d'un jeu de piste. Le tracé existe de nouveau mais par le prisme de la palette du peintre. Chaque ustensile, chaque vêtement se colorera d'orange, de vert puis...de rouge. Des teintes qui trouveront pleinement leurs significations au motel où l'ensemble des objets de la chambre de Marion seront en adéquation avec sa garde robe. Le vert signifiant porter sur soi la malchance...


La fascination de Gus Van Sant pour le classique d'Hitchcock est une manière très personnelle de lui rendre un vibrant hommage. La démarche profondément philosophique de réinventer l'oeuvre et de la propulser dans le futur à l'aide de nouveaux codes basés sur une ancienne lecture vire à l'obsession. Une expérimentation poussée dans ses retranchements par Steven Soderbergh qui en aura fait un mash-up des deux versions disponible ici.


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le 15 avr. 2022

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