Nicolas Winding Refn fait mariner ses ingrédients avec une radieuse force tranquille jusqu'à sortir un plat qui explose en bouche, sous mille nuances d'appréciations, c'est vraiment la sensation que cela donne. Et même si c'était le premier Refn, son coup d'essai, on retrouve toutes les clés du réalisateur. Ce n'est pas différent de ce qu'il fait aujourd'hui, si ce n'est dans la pulpfictionisation des dialogues. Il y a aujourd'hui une suite logique à ses travaux et une évolution naturelle de son cinéma, qui a aucun moment ne font disparaître la volonté omniprésente et primordiale de personnifier l'introspection du personnage, de la faire transparaître par tous les moyens techniques et visuels imaginables. Parce que :
Un travail démentiel est fait sur la lumière. Autant artificielle que naturelle, c'est comme si tous ses plans tournaient autour de l'éclairage et avaient pour but d'être en concordance avec. Le boulot est titanesque, c'est un travail de génie. Et le travail en amont, qui vise à capter les lumières du jour pour en faire profiter son propos, est une entreprise au moins tout aussi complexe que de créer soi-même une atmosphère.
Peu importe le fond, ce n'est, pour être sincère, pas le projet. Ou plutôt, Refn n'est pas un amateur d'histoire au sens strict, avec ses moult rebondissements, mais plus de la répercussion de l'histoire sur ses personnages. Ainsi retrouve-t-on un personnage principal qui subit puis qui décide de faire subir (ou l'inverse), la base du travail scénaristique et thématique de Refn, cette envie constante de se servir de son scénario basique, des événements qui jalonnent son récit, non pas pour offrir du suspense au spectateur mais pour en donner au personnage principal qui, lui, de fait, en redonnera au spectateur. C'est une nuance qui, si elle m'est personnelle, m'apparaît comme essentielle et inhérente à son écriture.
La lenteur au service du final. Ou la lenteur au service du chaos de certaines scènes, courtes, qui dénotent avec le rythme de ses films. Dans Pusher, nous sentons la tension monter, à hauteur de ce que vit le personnage, de ce qu'il perçoit et de ce qu'il pressent. Nous commençons avec des bavardages incessants, des personnages dont le background est patiemment monté en neige, pour finir sur une surexploitation de l'action, où chaque personnage laisse parler son instinct, suit avec obligation le mouvement du rythme de Refn. Il impose le temps. Il est l'horloger de son film, et fixe,dans sa propre histoire un compte à rebours, outrepassé logiquement à la fin. Refn est toujours celui qui donne le tempo à ses personnages, qui calibre leurs valeurs au rythme de leur accoutumance : autrement dit, il attend de trouver le moment opportun pour refermer le piège sur son héros et déchaîner son dessein lorsque la volonté du personnage et la réalité concordent et se croisent enfin.
Bref, très bon film, je n'adhère pas à l’entièreté de son cinéma, très loin de là, mais c'est un réalisateur que je respecte infiniment, sur qui il faudra compter et qui nous pousse à nous dire : on a besoin de lui. C'est fort, et rare. (Je n'ai pas trop parlé du film, au final, excusez-moi.)