On a souvent fait de Clouzot le Hitchcock français, réduit ses talents à ceux d'un honnête artisan, à ceux d'un petit maître. Censuré pendant 5 ans après la polémique autour du "Corbeau", Clouzot revient, et comment, à la réalisation avec ce "Quai des orfèvres" qui foisonne de détails dans la mise en scène et remporte le prix à Venise en 1947. Merci Jouvet. Merci Blier.
Mais derrière le film policier, l'intrigue rondement menée grâce à ces transitions parfaites notamment par le son comme Lang, derrière la farce (Clouzot introduit comme Hitchcock avec bonheur de la comédie dans le drame), n'y aurait-il pas autre chose de plus dérangeant dans les coulisses de ce cabaret ?
Nous sommes dans la France de 1947, celle de l'après-guerre à Paris. Pas besoin de convoquer Marcel Aymé et son "Uranus" pour imaginer le climat. Ça s'épie, ça jalouse, ça suspecte, ça balance. Dans "Le Corbeau", on se dénonçait déjà à coup de lettres anonymes. Quelques années plus tard, elle est belle la France de Clouzot !, jugez plutôt : une arriviste plus ou moins meurtrière, un tenant de la morale pour un peu prêt à tuer, un ange blond aux mains sales, un flic pourri au grand coeur... Le policier nous explique qu'il se reconnaît chez les criminels. La petite diva y va de son monologue comme quoi tout le monde a ses raisons (et ce n'est pas Renoir qui vous dira le contraire). Personne n'a ici tout à fait la conscience tranquille. Après tout ils étaient 4 sur la scène du crime ! Mais on se serrera les coudes pour balancer une vermine innocente.
La frontière entre un résistant et un collabo est plus fine qu'un papier calque. Monsieur Clouzot nous en fait une fois de plus la preuve admirable, l'air de rien, le temps d'une enquête rythmée sur fond de fêtes de fin d'année.