Les collabos ne venaient pas tous de l’extrême droite. Il y en a aussi qui venaient de la gauche.
Cette phrase, je suis tombé dessus un peu par hasard, il y a de cela quelques mois, sur ce site.
Il s’agissait d'une réaction (et depuis effacée par son auteur) au sujet de Quand la gauche collaborait, documentaire de Florent Leone et de Christophe Weber, produit et diffusé par France Télévisions en 2017.
Cette phrase, elle m’a interpellé sitôt je l’ai lue, au point même que j’en ai entamé une conversation avec son auteur. Et c’est à l’issue de cet échange que j’ai fini par comprendre que, plus que cette phrase en elle-même, c’était surtout le documentaire qui l’avait suscitée qui m’interpellait vraiment… Ou plutôt devrais-je dire les documentaires dans la mesure où il est ici question d’un diptyque consacré aux « paradoxes de l’Histoire » pour reprendre les termes de LCP au moment de rediffuser l’ensemble en 2021.
Un premier paradoxe dédié à la gauche qui a collaboré donc. Et puis un second consacré à l’extrême droite qui a résisté ; second épisode qui en est fait plutôt le premier, du moins à en croire l’ordre de diffusion des deux documentaires. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai décidé d’aborder la question de ce diptyque par ce volet-ci, portant sur l’extrême-droite. En ce qui concerne l’autre volet, on en parlera plus tard car, l’air de rien, il y a déjà beaucoup de choses à dire et à redire, rien que sur celui-ci.
L’intérêt qu’il y a à prendre les épisodes dans l’ordre c’est que, s’il y a note d’intention, on a plus de chance de tomber dessus en commençant par le début. Or, il se trouve que note d’intention il y a bien et qu’elle dit ceci : « Au fil des années, et des décennies, la mémoire collective simplifiera et schématisera l’engagement d’hommes et de femmes pris dans les tourments d’une époque ambiguë et incertaine. Ainsi, la Résistance restera invariablement associée à la gauche alors que l’extrême droite sera synonyme de collaboration. Mais l’Histoire est complexe. Un nouvel éclairage doit être apporté sur cette période… [A partir de là,] impossible de comprendre l’engagement et le parcours de nombreux militants d’extrême droite dans la résistance sans comprendre ce qu’est l’extrême droite française et ce que vit la France dans l’entre-deux-guerres. » (2’).
A se fier donc à ce qui est dit ici, l’enjeu de ce diptyque est clair : éviter la simplification et la schématisation abusives ; restituer l’ambiguïté de l’époque et la complexité de l’Histoire ; et surtout donner à comprendre grâce à un nouvel éclairage porté sur les zones d’ombres.
Autant d’objectifs louables, à n’en pas douter. Les généralisations hâtives sont toujours problématiques en Histoire. Rappeler à la nuance de chaque chose permet effectivement d’éviter les raccourcis fâcheux, tout cela se faisant bien évidemment au service de la vérité des faits.
Ont d’ailleurs été mobilisés pour cette entreprise quelques historiens (plus ou moins) de renom : Olivier Wieviorka, Pascal Ory, Simon Epstein.
Et pourtant…
Pourtant, tout au long des 52 minutes que dure ce documentaire, j’avoue que les questions sur le bien-fondé de la démarche se sont multipliées.
Reprenons ne serait-ce que cette note d’intention. Il s’agissait, nous disait-on, de rompre avec cette image où d’un côté la Résistance serait invariablement associée à la gauche et de l’autre l’extrême droite systématiquement associée à la collaboration. Or là, moi, quand j’entends ça, je m’interroge déjà : mais franchement, qui soutient ça aujourd’hui ?
Mais vraiment ! Qui ?
Ça sort d’où cette histoire ? Qui l’invoque ? Des historiens ? Des journalistes ? Des programmes scolaires ? Le tout venant ?
En tout cas, moi, je n’avais jamais rien entendu de tel jusqu’à présent. Or c’est fâcheux dans la mesure où toute la démarche de ce diptyque entend se poser comme une réponse face à cette idée reçue. Une idée reçue plus ou moins sortie de nulle part, donc.
D’un autre côté, je comprends que Leone et Weber aient cherché à justifier leur démarche parce que, à bien y réfléchir, je la trouve franchement tordue. Puisque les gens seraient donc convaincus que résister est un acte de gauche et que d’être d’extrême droite signifie nécessairement d’être collaborateur, alors on va faire des épisodes montrant l’extrême droite qui résiste et la gauche qui collabore.
Alors sur le papier, pourquoi pas (quoique), mais dans la pratique, l’effet obtenu est tout de même très problématique.
Parce que ça donne quoi un documentaire de 52 minutes consacré à l’extrême droite qui résiste ?
Eh bien ça insiste d’abord sur la nécessité de préciser que toute l’extrême droite à l’époque n’était pas nécessairement raciste ou antisémite. L’Action française, nous dit-on, est certes antisémite mais c’est davantage un « antisémitisme d’Etat » ; précisant que cet antisémitisme est « non racial », qu’il « admet l’existence de bons juifs » qu’on peut espérer intégrer, et que cet antisémitisme n’a rien d’un « antisémitisme de type absolu ». Il est juste « discriminatoire » mais pas « exterminateur ».
Quant aux Croix de feu, on insiste bien sur le fait qu’ils soient républicains et qu’ils n’ont jamais participé à aucune insurrection ni tentative de coups de force.
Et quand il s’agit d’évoquer la nuit du 6 février 1934, durant laquelle les ligues d’extrême droite avaient tenté de prendre d’assaut le Palais-Bourbon (rien que ça), le documentaire nous précise qu’à la base, tout ce petit monde se rassemblait suite à l’affaire Stavisky – une affaire de corruption de parlementaires – aux cris de « A bas les voleurs ».
Alors moi je veux bien – après tout, pris séparément, rien de tout ça n’est vraiment faux – mais à ne présenter que ça, le documentaire en vient à produire une image de l’extrême droite française sacrément édulcorée.
Parce que, certes, les Croix de Feu étaient bien républicains MAIS ils étaient antiparlementaristes, ils avaient une organisation hiérarchisée de type militaire, ils prônaient la dissolution de l’individu dans l’émergence d’un homme nouveau capable de se sacrifier pour la patrie, ils soutenaient et étaient soutenus par les grandes entreprises capitalistes de l’époque face aux grèves qu’ils réprouvaient. Et s’ils n’ont jamais participé à un coup de force, notamment celui du 6 février, c’est davantage par stratégie que par principe. Rappelons aussi au passage que c’est à eux qu’on doit la fameuse devise « Travail. Famille. Patrie. » que reprendra par la suite Pétain, donc bon…
De la même manière, il est vrai que l’Action française prônait un antisémitisme d’Etat ouvrant une voie à l’intégration des bons juifs, MAIS on oublie de préciser que ce concept de bon juif n’est, aux yeux de l’organe de presse royaliste, que purement théorique et impossible dans la pratique car, nous dit Charles Maurras dans un numéro de son journal datant du 25 octobre 1920, « la juiverie n’obéit que selon la loi du mystique égoïsme qui l’a gardée nation entre les nations […] Israël d’abord. »
Et puis surtout – pitié – rappelons aussi que l’extrême droite française de l’époque ne se limitait pas qu’à l’antisémitisme d’Etat de l’Action française et le pseudo-républicanisme des Croix de feu. Il y avait aussi la Ligue des Patriotes, les Jeunesses patriotes, les Camelots du Roi, ou bien encore le Faisceau qui, elles, étaient de pures factions fascistes qui cochaient toutes les cases de ce qui se faisait de plus réactionnaire à cette époque-là.
Malgré tout, j’entends ce qu’on pourrait me rétorquer. Certes, ça constituerait un problème si le sujet avait été l’extrême droite dans la France d’entre-deux-guerres mais, là, ce n’est pas le cas. Le sujet, c’est l’extrême droite résistante, du coup on ne saurait reprocher à ce documentaire de ne pas s’être montré exhaustif sur la question.
Oui, mais sauf que :
1) le passage que je cite était justement censé procéder à un portrait de l’extrême droite française dans toute sa diversité d’avant la guerre, ce qu’il ne fait donc pas ;
2) au regard du reste, il passe quand même pas mal de temps à développer l’idée d’antisémitisme d’Etat de l’Action française alors que, ni Maurras, ni son entourage ont alimenté les rangs de la Résistance (donc à quoi bon ?) ;
3) et surtout il présente l’antisémitisme d’Etat et le républicanisme des Croix de feu de manière biaisée et donc faussée, ce qui est quand même très gênant pour un documentaire qui déclarait en son introduction vouloir lutter contre les visions simplistes et réductrices de la période.
D’un autre côté, c’est vrai qu’on ne peut pas non plus accuser ce documentaire d’être dans la falsification la plus crasse. On n’épargne par exemple pas la Cagoule, qu’on n’hésite pas à qualifier d’organisation « terroriste », accusant les communistes de leurs propres méfaits (10’50’’). De même, on ne passe pas sous silence le fait qu’ils aient été financés par des entreprises de l’époque comme Michelin, L’Oréal ou bien Lesieur. On précise même bien, par rapport à ces membres de la Cagoule, que « beaucoup verseront dans la collaboration, [quand] d’autre feront le choix inverse et choisiront la résistance, » ce qui présente quand même pour mérite de bien rappeler que la résistance d’extrême droite constitue une minorité…
…Seulement voilà, le documentaire a beau le dire, dans la pratique, c’est tout l’inverse qu’il finit par suggérer. Parce qu’il y a ce qui est, ce qui est montré et surtout ce qui est induit. Or, le problème que j’ai avec ce documentaire c’est qu’il induit beaucoup de choses, malgré lui peut-être, mais malgré nous sûrement.
Ainsi, parce que le parti a donc été pris de mettre la lumière sur l’extrême droite résistante, on se retrouve à minimiser tout ce qui la côtoie de près et surtout à invisibiliser tout ce qui ne la côtoie que de trop loin, si bien qu’on pourrait très facilement croire qu’au final, c’était elle qui était au cœur de toute la démarche résistante.
Parce qu’après avoir bien insisté sur l’existence d’une résistance d’extrême droite qui se développait au sein même du régime de Vichy, on nous explique ensuite qu’une autre partie de ces militants d’extrême droite ont décidé de rejoindre De Gaulle en Angleterre, prenant notamment appui sur l’exemple du colonel Rémy.
Rémy, nous dit-on alors, rejoint les services de renseignement de la FFL et « retrouve la première poignée d’agents secrets composée de monarchistes catholiques […] et d’anciens cagoulards. » (19’30’’). Puis, deux minutes plus tard, voilà qu’on ajoute « le colonel Rémy fonde en quelques mois ce qui devient le plus puissant réseau de la France libre : la Confrérie Notre-Dame » (21’25’’)
Et voilà comment, en quelques minutes, il deviendrait tentant pour le spectateur de se dire que – mazette ! – en fait ces quelques monarchistes catholiques et autres cagoulards ont été les fers de lance de la Résistance... ignorant peut-être qu’en parallèle de ça toute une série d’autres organisations résistantes, étrangères à la FFL, se développaient sur le territoire français et passaient déjà à l’action, Seulement voilà, comme elles ne sont pas d’extrême droite, on n’en parle pas. Et quand vient enfin le moment d’en parler, c’est uniquement quand ces organisations viennent se raccorder à un réseau fondé par des militants d’extrême droite. A nouveau, voilà qu’on suggère au spectateur peu averti que ce sont bien les réseaux d’extrême droite qui ont posé les bases de la Résistance quand les autres mouvements se sont simplement contentés de rallier le mouvement une fois que le plus dur était fait.
La chose est particulièrement palpable quand vient le moment d’aborder la création, en 1941, de l’Organisation Civile et Militaire (OCM). A la 29e minute, il est notamment dit ceci : « suite à l’arrestation d’une partie de ses chefs, le colonel Touny reprend la tête de l’OCM, transforme l’organisation en profondeur, et lui fait prendre une toute autre dimension au cours de l’année 42. Ces membres organisent des filières d’évasion et cachent des armes. Touny dote également l’OCM d’un réseau d’espionnage – le réseau Centurie – et ouvre ses structures à de nombreux militants socialistes qui affluent en masse. Dans ce mouvement, on retrouve désormais des figures de la gauche comme Pierre Brossolette. »
Et voilà comment il serait presque tentant de croire que Brossolette ne rentre dans le jeu de la Résistance qu’en 1942, alors qu’il y était déjà intégré dès l’hiver 1940. Même chose pour les militants socialistes qu’on évoque ici pour la première fois. A écouter trop littéralement le documentaire, ce serait Touny qui les intègre à la Résistance de par sa politique d’ouverture alors que, dans les faits, l’Organisation spéciale, Libération-Nord, le groupe Ponzan et les groupes de la Main-d’œuvre immigrée (MOI) sont déjà constitués en août 1940.
Alors certes, on ne dit non plus que ni Brossolette, ni les socialistes, sont entrés en Résistance au moment de leur intégration au sein de l’OCM ; j’entends bien. Mais par ce jeu permanent d’effet de loupe et d’effacement, le spectateur a sérieusement intérêt à disposer de bases solides sur le sujet pour ne pas se laisser tromper par le dispositif.
Et c’est vraiment là que, pour ma part, je me retrouve sincèrement mis mal à l’aise face à cette démarche qui consiste à prendre le parti de surligner les paradoxes de l’Histoire.
Mal à l’aise plus qu’indigné parce que je reconnais volontiers qu’une telle approche iconoclaste permet réellement de mettre en lumière des singularités qui permettent d’enrichir le regard et de cultiver les questionnements sur cette période qui, effectivement, est infiniment riche et complexe.
Pour ma part, j’ai par exemple trouvé particulièrement intéressant ce moment où témoigne José Aboulker, résistant juif d’Alger, qui nous raconte comment la force des choses l’a conduit à travailler main dans la main avec Henri d’Astier de la Vigerie ; ancien habitué des expéditions anti-juives au sein du quartier latin. (35’) Tout les opposait, expliquait-il, et pourtant la guerre a su édifier entre eux un pont aussi insolite qu’inattendu ; une sociabilité nouvelle permettant d’établir un champ de camaraderie inédit et susceptible par la suite de bousculer les convictions de chacun.
Pour le coup, ça, oui, c’est le genre de paradoxe qu’il est effectivement difficile de considérer de nos jours, mais que le rappel nécessaire de ces moments d’exception permet non seulement de saisir mais aussi d’interroger.
En cela donc – oui – difficile de ne pas reconnaître un mérite certain à ce type d’approche…
…Mais pas de quoi effacer malheureusement le profond malaise généré par ce documentaire.
Un malaise autant méthodologique qu’éthique.
Car non, si je me suis à ce point étendu sur les malentendus que pouvait générer ce documentaire, ce n’est pas simplement pour chercher la petite bête ou pour jouer les experts tatillons. Non. Le problème me concernant est clairement d’autre nature.
Pour celles et ceux qui ne me connaitraient pas, il me semble nécessaire de vous faire une petite précision me concernant : il se trouve que j’enseigne l’Histoire. Et histoire de pousser les révélations un peu plus loin, il est à savoir que j’ai aussi fait un peu de recherche historique avant d’enseigner, et mon sujet d’étude c’était (grosso modo) l’extrême droite de l’entre-deux-guerres. Je précise encore : pas les organisations, pas les actions, mais plutôt les idées. Les débats. Les discours. La rhétorique mobilisée…
Or – je vous le dis tout de go – quand on a étudié dans sa vie le monde des idées de l’extrême droite – même si c’était il y a longtemps – il y a une chose qui vous interpelle systématiquement : c’est justement le malentendu. Le double sens. L’ambiguïté…
…Surtout quand elle a pour sujet l’Histoire et – en l’occurrence – l’histoire de l’extrême-droite.
Il y a des détails qui, dans ce documentaire, font plus que m’interpeller.
Au-delà des sous-entendus, il y a tout de même quelques connotations étranges.
Quand il s’agit d’évoquer les goûts de jeunesse de Pierre de Bénouville pour aller ratonner les Juifs de Paris, le documentaire euphémise quelque peu en se contentant simplement de dire qu’il « était de toutes les bagarres au quartier latin » (10’). Même chose au sujet de Maurice Duclos qu’on nous présente comme « sympathique et épris d’action » (11’40’’), comme si, au fond, tout ce qu’il n’y avait à retenir d’eux n’était que leur énergie positive. Quant au colonel Rémy, on a jugé nécessaire de préciser qu’il s’agissait d’un « personnage charmeur » (21’35’’). Pourquoi donc ? Sur la base de quoi ? Pour quel intérêt ?
Leur antisémitisme et leur adhésion à des ligues fascistes ? Un détail sûrement. Un élan de l’époque qui ne mériterait pas qu’on s’y attarde, semble-t-il…
Mêmes égards sitôt s’agira-t-il d’aborder le cas de Marie-Madeleine Fourcade. On ne saura rien de sa présence dans ces réseaux clandestins qui, avant la guerre, cherchaient à purger l’armée de ses éléments de gauche, pas plus qu’on ne soulignera cet antisémitisme forcené qu’elle exprimait au sein de La Spirale ; son journal. Non. Au lieu de ça, on dira juste d’elle qu’elle est simplement « nationaliste » (15‘). Et elle aussi aura droit à ses compliments pas très historicisants, comme quand, à la 31e minute, on nous dit qu’elle a « brillamment repris la tête d’Alliance » ; réseau Alliance dont on nous avait déjà précisé quelques minutes plus tôt qu’il était « absolument magnifique. » (24’18’’)
De ce genre de petites complaisances, il arrive même parfois que la narration vire au révisionnisme arrangeant. Ainsi, nous dit-on en début de documentaire que, face à la montée du nazisme, « l’ensemble de la classe politique traditionnelle, aveuglée par un fort courant pacifiste, ne cesse de prôner le désarmement face à l’Allemagne qui, elle, reconstitue sa puissance militaire avec Hitler. » quand, au contraire, l’Action française appelle à « une vigilance absolue » (7’10’’) En parlant de « désarmement », le documentaire fait sien la rhétorique pétainiste consistant à dire que le Front populaire a été responsable de la défaite de 1940 de par sa politique pacifiste de désarmement alors que, factuellement, une politique de réarmement avait bien été opérée sous le Front populaire et qu’elle a été d’ampleur.
Même problème quand, à la 25e minute, on nous explique qu’ « au commencement de la Résistance, les militants d’extrême droite [étaient] présents en force, » mais que les choses ont changé sitôt l’Allemagne s’est mise à attaquer par surprise l’Union soviétique. « Les communistes, nous dit-on alors, paralysés jusque-là par le pacte germano-soviétique, peuvent désormais agir et entrent massivement dans la Résistance. » (25’47) Une affirmation qui relève encore une fois de l’erreur factuelle assez grossière dans la mesure où les premiers réseaux de résistance communistes sont mis en place dès 1940, notamment avec les groupes Ponzan, MOI et OS, déjà évoqués plus haut. Une fois de plus, le documentaire reprend à son compte un mythe actif au sein de la droite conservatrice et réactionnaire, positionnant l’émergence des réseaux socialistes après celle des réseaux nationalistes alors que, dans les faits, ces émergences ont été concomitantes.
Enfin, cette mythologie droitière, elle est également mobilisée au sein du dernier tiers du documentaire, quand sont évoqués les « quelques heurts avec l’armée vichyste » au moment des opérations alliées menées sur les colonies françaises d’Afrique. (35’30) Loin de n’avoir été confrontées qu’à une résistance de forme, les armées alliées ont au contraire eu maille à partir avec une l’armée vichyste qui a défendu farouchement ses positions ; de quoi rappeler la réalité d’une profonde adhésion de l’armée à l’Etat vichyste et qu’une large frange de la droite, y compris gaulliste, a toujours cherché à taire.
Mais alors, dans ce cas, « qu’en déduire ? », vous demanderez-vous peut-être.
Ce documentaire n’est-il donc, au bout du compte, qu’une vile et grossière entourloupe de propagande fasciste ? N’est-il qu’une pièce supplémentaire venant s’insérer dans cette vaste entreprise de dédiabolisation ; pièce qui aura donc été, en sus de cela, financée par les deniers du contribuable ? Il serait tentant d’y voir là le genre de conclusion catégorique vers lequel semble se diriger mon propos. Pourtant, je n’en suis pas là. Et si je n’en suis pas là, c’est parce que, d’abord, si le documentaire avait vraiment voulu nous jouer la carte de l’entourloupe grossière, il serait allé bien plus loin dans sa silenciation du passé trouble de ces résistants d’extrême droite.
Alors certes, on relativise l’antisémitisme de l’Action française tout comme on ripoline grandement les figures des colonels Rémy et Touny, de Pierre de Bénouville ou bien encore de Marie-Madeleine Fourcade. Mais à côté de ça, on n’invisibilise pas la Cagoule, on n’ignore pas et on souligne bien le fort antisémitisme de Loustaunau Lacau (14’45) ou bien encore celui de l’OCM (29’40).
Bref, si tentative d’enfumage il y a eu dans ce documentaire, force est de constater qu’elle présente au moins le mérite d’une certaine retenue, au point qu’elle laisse ouvert un champ aux questionnements et autres témoignages intéressants évoqués plus haut.
Malgré tout, je pense qu’on ne peut ignorer – ni passer sous silence – le fait que ce documentaire reste pour l’essentiel construit autour d’un narratif et d’une approche fortement nationalistes. Et là où, pour moi, cela pose un véritable problème, c’est que même en laissant mes sympathies et autres convictions politiques au vestiaire, ce prisme nationaliste me dérange fortement dans la mesure où il produit l’exact inverse de ce qui était pourtant annoncé au début de ce diptyque, en tant que note d’intention.
Rappelez-vous : il s’agissait de lutter, nous disait-on en introduction, contre les mémoires collectives simplificatrices, et cela dans le but de restituer davantage la complexité de l’Histoire. Or – rappelez-vous encore – j’avais moi-même commencé ma critique en m’intrigant de la manière dont ce documentaire entendait nous présenter ces fameuses mémoires simplificatrices. « Ainsi, la Résistance restera invariablement associée à la gauche alors que l’extrême droite sera synonyme de collaboration, » nous disait-on. J’avais alors posé la question suivante : « mais qui dit ça ? » Une question que j’avais volontairement laissée en suspens…
Car oui, le moment me semble désormais venu d’apporter une réponse à ce qui n’était finalement pas un si grand mystère que cela.
D’où sort donc cette idée comme quoi la Résistance serait « de gauche » ; idée qu’il conviendrait donc de rappeler à la réalité et à la complexité de l’Histoire ?
Eh bien elle nous vient tout simplement d’un débat radiophonique d’après-guerre qui a lieu entre ces deux figures de la Résistance d’extrême droite que sont Emmanuel d’Astier de la Vigerie et Nicolas de Bénouville ; débat que le documentaire nous diffuse dans ses cinq dernières minutes, comme l’amorce d’une synthèse conclusive.
« Tu admettras que la résistance avait le cœur qui battait à gauche, y déclame Astier de Vigerie, soyons très modestes, » ce à quoi lui répond Bénouville : « enfin un cœur qui battait à gauche avec beaucoup de gens qui venaient de ce qu’on appelle l’extrême-droite ! »
Voilà donc sur quel postulat d’opposition reposait, depuis le départ, tout ce documentaire : pas sur un débat d’historien. Pas sur des faits. Non. Juste sur des représentations, et pas n’importe lesquelles : une représentation d’extrême droite pour nuancer une autre représentation d’extrême droite.
Cette amorce conclusive, elle donne toute la couleur de cette synthèse finale à laquelle nous invite le duo d’auteur : Florent Leone et Christophe Weber.
Quelle est donc, au bout du compte, cet éclairage nouveau permettant de saisir une réalité plus complexe ?
On nous dit d’abord : « on peut souligner que la Résistance s’est, dans une très large mesure, gauchisée au fil du temps ». (46’38’’) Or ça, donc, on l’a vu, c’est faux. Dire cela n’a de sens que si on considère l’histoire de la Résistance qu’au regard de la seule chronologie de la FFL, ce qui est un biais simplificateur et surtout falsificateur. Comme quoi, l’ambiguïté entretenue tout le long de cette narration n’avait rien d’anodine.
Quelques secondes plus loin : « Vichy est de droite, voire d’extrême droite. » Ah bon ? Le doute subsiste ? Supprimer la démocratie, créer des statuts inégalitaires de citoyens et inscrire dans la loi l’antisémitisme ça peut éventuellement se classer dans de la simple droite classique ? Non mais, vraiment ?
Et puis enfin, minute suivante : « sur le plan intellectuel, le parti communiste impose son image. Il aura été le grand parti structurant de la résistance. Evidemment, l’extrême droite et rabattue et indexée sur Charles Maurras » (47’) C’est moi où, là, on essaye de me faire m’apitoyer sur le sort de ces pauvres gens d’extrême droite qu’on aurait assimilé – à tort ! – à un Charles Maurras non-résistant ?
Non mais c’est quand même un brin consternant…
Comment expliquer dès lors un tel manque de distance par rapport au sujet traité ; un tel manque de distance au point que le documentaire en arrive à adopter les biais que le sujet lui-même produit ?
L’hypothèse selon laquelle les deux auteurs, Florent Leone et Christophe Weber, entretiendrait de réelles sympathies à l’égard de l’extrême droite et qu’en conséquence ils auraient agi habilement et sciemment au service de leurs idées n’est certes pas à exclure. Après tout, ils ne seraient pas les premiers à servir cette mouvance au sein du service public puisque – ne l’oublions pas – des animateurs tels que Stéphane Bern et Franck Ferrand continuent d’être encore de nos jours (ndlr : en 2024) les principales figures de proue de France Télévisions en termes de la vulgarisation historique. Donc comme quoi, sur ce point, tout est possible.
Néanmoins, une autre hypothèse est tout aussi envisageable et, pour ma part, c’est celle vers laquelle j’aurais davantage tendance à pencher. Cette autre hypothèse est certes moins flatteuse, mais elle me semble davantage plausible. Parce que, non, on ne peut pas exclure non plus que cette confusion et ce manque de mise à distance soient tout simplement le fait d’un manque de culture.
C’est un fléau de notre temps.
Même parmi les personnes occupant des places de choix parmi les élites politiques et culturelles, les bases viennent souvent à faire défaut.
Florent Leone et Christophe Weber maitrisent-ils seulement les concepts qu’ils évoquent ? Gauche ? Droite ? Extrême gauche ? Extrême droite ? Quelles idéologies rangent-ils aux côtés de ces mots ? De quoi ces idéologies sont-elles composées selon eux ? Que valent-elles au regard d’une approche critique, historique et sociologique de leur contenu ? …Tout ça n’a pas l’air très évident au regard des propos soutenus dans leur ouvrage.
Le régime de Vichy pourrait être de droite et non indiscutablement d’extrême droite, vient-on par exemple de voir à l’instant, et cela malgré le caractère ouvertement réactionnaire de leur projet politique.
A un autre moment, au beau milieu du reportage, on nous dit que les mouvements de Résistance sont différents des réseaux d’espionnage dans la mesure où « ils ont une vocation bien plus politique ». Où veut en venir une telle phrase, franchement ? Moi, je ne la comprends pas. Pourquoi opposer ici « mouvements de résistance » et « réseaux d’espionnage » ? Parce qu’espionner, ce n’est pas résister ? De même, espionner n’est-ce pas aussi un acte politique ; acte d’ailleurs lui-même au service d’un projet lui-même politique ? Mais ça se définit comment le domaine du politique pour ces gens-là ? Quand j’entends une formulation pareille, j’ai l’impression d’entendre ces quidams qui passent leur temps à dire : « oh moi, tu sais, je suis apolitique, mais c’est pas ça qui va m’empêcher de penser ceci et de voter pour cela. »
Désolé, mais pour s’attaquer à un morceau comme la Résistance – qui plus pour prétendre en tirer une vision qui aille au-delà des représentations simplistes – il me semble que ce genre d’approche approximative – en partant bien évidemment du principe qu’il ne s’agisse pas là d’une rhétorique volontairement confusionnante – n’est pas à la hauteur de l’enjeu.
Alors après, à leur décharge, il est vrai que les deux auteurs n’ont pas forcément été aidés par les historiens qui leur ont servi de caution ou – pour être plus exact – ils n’ont surtout pas été aidés par cet historien qui occupe une place clef dans ce projet ; j’entends parler ici de Simon Epstein.
Pourquoi je dis que Simon Epstein occupe une place clef dans ce documentaire ? Eh bien tout simplement parce que c’est lui qui, neuf ans plus tôt, a publié cet essai intitulé Un paradoxe français : antiracistes dans la Colloboration, antisémites dans la Résistance ; ouvrage qui laissera autant sceptique la communauté d’historiens que la presse, jusqu’au Figaro.
J’ignore qui est véritablement Simon Epstein et ce que vaut réellement son travail car je n’y ai jamais été confronté, du moins de mémoire. Par contre ce que je sais, c’est qu’avant même de faire mes recherches sur ce documentaire, il a été l’intervenant dont les prises de parole m’ont fait le plus tiquer.
Ce long laïus totalement inopportun et en partie falsifié sur la nature de l’antisémitisme d’Etat de Charles Maurras, c’était lui. C’est aussi lui qui affirme à la 33e minute : « dans la résistance à Londres, il y a une surreprésentation des juifs et une surreprésentation de l’extrême droite » ; une affirmation que, personnellement, j’aurais tendance à questionner au regard de par sa seule formulation. Qu’est-ce qu’il appelle ici « surreprésentation » ? Ça s’appuie sur quels chiffres ? N’est-ce pas là un nouvel arrangement qu’il prend avec le réel dans le souci de produire un paradoxe plus vendeur ? Pas impossible. Là encore, il ne serait pas le premier à le faire.
Partant de là, si la démarche de Leone et de Weber a été de suivre aveuglément le fil de démonstration d’Un paradoxe français, alors dans ce cas, peut-être qu’effectivement le problème viendrait davantage d’Epstein que du duo de documentaristes.
Oui mais sauf que…
C’est justement là qu’avoir de la culture permet d’éviter de se laisser emporter dans des lectures biaisées du monde. Parce qu’avec un minimum de culture politique, on se rend quand même bien compte – surtout au regard de la démonstration finale tenue par ce documentaire – qu’on sombre clairement dans le roman national ; pour ne pas dire « nationaliste ».
On nous explique que Bénouville, Rémy, Fourcade ont fini, au lendemain de la guerre, par « succomber au charme du gaullisme » (48’10), au point que le premier « délaisse son antisémitisme de jeunesse » (48’40’’), quand la dernière aille jusqu’à s’engager en faveur de la cause israélienne (48’50’’). C’est la magie de cette Résistance qui a permis de « rapprocher ceux qui paraissaient devoir rester étrangers » ; celle qui fera que, même des décennies plus tard, un Bénouville (qu’on dit de droite) ira défendre bec et ongle son compagnon de gauche François Mitterrand (grand absent de ce documentaire par ailleurs) quand ce dernier sera accusé de collaboration.
Que ces revirements soudain aient pu être dictés par un quelconque opportunisme politique n’est même pas évoqué. Non, ces revirements ont forcément été sincères. Du moins il faut qu’ils soient sincères pour que puisse être mené jusqu’à son terme un message que les deux auteurs ont sûrement voulu beau et inspirant ; un message qui rappelle aux vertus de l’esprit patriotique ; celui qui transcende les identités et les individus ; celui qui dépasse le clivage gauche-droite ; celui qui va jusqu’à dépasser la politique elle-même… Alors, on peut trouver ça beau et inspirant hein ! Là n’est pas la question. Il n’empêche que ces idées de transcendance patriotique pour dépasser les vils clivages politiciens, bah ça reste les éléments de langage de base des ligues d’extrême droite des années 30.
C’est un logiciel d’extrême droite.
Et de là, je me permets juste de poser une question. La question, au fond.
Est-ce que c’est ça qu’on attend d’un documentaire historique ? Est-ce que, convictions politiques personnelles mises à part, c’est vraiment le contrat tacite qu’on tisse, nous, spectateurs en quête d’éclairage historique, avec une œuvre télévisuelle qui aspire à mettre en lumière un épisode clef de notre passé collectif ?
Pour ma part, ce n’est pas mon cas.
Je peux comprendre qu’il soit tentant d’exacerber les paradoxes de l’Histoire. Ça attire l’attention du curieux. C’est plus vendeur. Et tant que ça ne se fait pas au détriment de la sincérité scientifique de l’ouvrage, j’aurais tendance à dire « pourquoi pas ». C’est de bonne guerre...
A côté de ça, je peux aussi comprendre que, même en tant que chercheur en sciences sociales, on puisse vouloir sortir de sa réserve et chercher à exprimer quelque chose de plus personnel, intimiste et engagé. Vraiment, pourquoi pas, mais à condition que la chose soit clairement dite afin de ne duper personne et de ne pas participer à la confusion générale.
Mais là, on n’est pas dans ce champ-là.
Avec ce Quand l’extrême droite résistait, on navigue en eaux troubles du début jusqu’à la fin. La confusion règne. La distorsion, volontaire ou non, conscientisée ou non, est manifeste. Et moi, j’entends juste acter ça.
Qu’il s’agisse là d’un énième avatar d’une droitisation institutionnalisée, d’une fourberie mercantile, ou bien tout simplement le résultat maladroit de deux esprits rendus poreux aux idées de notre temps, dans tous les cas de figure, ce documentaire pose problème.
Il porte des éclairages intéressants, certes, mais il le fait au sein d’une démarche qui, au final, produit l’exact inverse de ce qu’il avait pourtant annoncé. Au lieu d’affiner et de complexifier notre regard sur cet évènement historique majeur que fut la Résistance, ce Quand l’extrême droite résistait ne passe en fait son temps qu’à déformer le réel au prétexte d’une nécessaire mise au centre des marges et d’une mise en marges du centre.
Et c’est donc le service public qui produit ce genre de documentaire…
Voilà qui dit quand même quelque chose de fort signifiant.
L’air du temps est décidément de plus en plus clair et, pour ce que ça me concerne, j’avoue que ça ne m’enivre pas vraiment…