Revoir ce film fut très bénéfique tant j'en avais oublié l'intrigue, je peux même dire que je l'ai totalement redécouvert. Ce n'est pas l'un des films les plus connus avec Charlton Heston, c'était l'époque où il tournait des films exotiques comme le Secret des Incas tourné la même année ; sa carrière était alors assez routinière, il avait des premiers rôles mais il n'était pas encore la grande star qu'il deviendra ensuite, il avait été révélé en 1952 par Cecil B. De Mille qui lui avait confié le rôle principal du patron de cirque énergique dans Sous le plus grand chapiteau du monde. C'est son rôle de Moïse dans les Dix commandements en 1956 qui le propulse, grâce encore à De Mille, ce qui lui vaudra d'être choisi pour Ben-Hur en 1959. De son côté, Eleanor Parker n'est pas une actrice très connue en France comme le furent Ava Gardner ou Marilyn Monroe, mais elle était d'une beauté renversante à l'époque, elle n'aura pas la chance d'obtenir des rôles qui la mettront véritablement en valeur, même si les cinéphiles ne peuvent l'oublier dans Fort Bravo où elle ensorcelait William Holden, dans l'Homme au bras d'or où elle était l'épouse émouvante de Frank Sinatra, et aussi dans Celui par qui le scandale arrive où elle se confrontait durement à Robert Mitchum.
Quand la marabunta gronde s'inscrit dans la lignée des films exotiques des années 50, avec une partie romanesque et de l'aventure de jungle, avec en plus un côté spectaculaire dû aux insectes tueurs. L'intrigue est bâtie autour d'un noyau sentimental, avec une première partie intimiste alternant des éléments exotiques et des tonalités mélodramatiques, mais l'ensemble du film repose sur le couple vedette Heston-Parker. Celle-ci réfute l'idée de la femme soumise ou vulnérable face à un homme rude et peu enclin à la galanterie. Le superbe Technicolor magnifie sa sublime beauté (surtout lorsqu'elle apparait dans un déshabillé affriolant), et Heston dégage déja une prestance qui en jette.
L'intrigue suit un processus qui n'était pas encore trop usé en 1954 : en 1901, une belle jeune femme de La Nouvelle Orléans a épousé par procuration un riche planteur de cacao du Brésil ; l'accueil est froid, l'homme est distant et embarrassé, et ne s'intéresse qu'à sa plantation, elle a la classe, est intelligente, bonne musicienne mais est jugée trop sûre d'elle. Leur relation au départ tendue va évoluer et aboutir au final à un amour sincère, ce procédé sera souvent répété dans les comédies sentimentales et certains films d'aventure modernes. La relation entre le dur et la belle qui devine sous une carapace une sensibilité, va finalement se renforcer par cette grande menace naturelle que sont ces millions de fourmis carnivores qui ravagent tout sur leur passage tel un fléau divin.
Ces séquences insectoïdes occupent la dernière partie du film et sont carrément bluffantes pour l'époque, grâce à des effets spéciaux remarquables. George Pal le producteur et Byron Haskin le réalisateur venaient de donner la Guerre des Mondes en 1953 ; Pal spécialisé dans les films fantastiques avait produit aussi le Choc des mondes, puis il réalisera en 1958 les Aventures de Tom Pouce aux savants effets de miniaturisation, et surtout son chef-d'oeuvre en 1960 avec la Machine à explorer le temps où l'on ne peut oublier les séquences ébouriffantes de changements d'époques et surtout les fameux Morlocks. Aussi, lorsque les fourmis attaquent la plantation, ça devient un sacré morceau de bravoure, insistant sur l'aspect grouillant des fourmis qui envahissent le moindre recoin, et aussi lorsque l'eau envahit les décors qui est un effet tout à fait réussi. Les procédés utilisés ont eu recours à différentes techniques : plans de véritables fourmis grouillantes, incrustations, effets optiques... tout ceci habilement réalisé par John P. Fulton, un maître de ces techniques qui s'est ramassé une collection d'Oscars glanés au cours de sa carrière. Voila donc un bon film d'aventure à l'ancienne qui a pu peut-être inspirer Spielberg pour le quatrième Indy, Indiana Jones et le crâne de cristal, pour les scènes de fourmis et de jungle.