Oubliez le ridicule titre français pour vous attarder sur le titre original en parfaite accointance avec Le Conte Du Genévrier de Wilhelm et Jacob Grimm dont le film, réalisé en 1986 par Nietzchka Keene, s'inspire (très) librement.
Ici, point de magie noire pour de funèbres sorts, mais une foi ésotérique et absolue envers la magie blanche pour toujours mieux s'accrocher à l'espoir et à la survie. La cruauté du conte original se voit ainsi transcendée par une sublime photographie magnifiant la campagne islandaise et l'atmosphère austère propre au Moyen Âge. Un environnement que la réalisatrice avait déjà abordé 5 ans plus tôt avec son glacial, mais néanmoins superbe, moyen-métrage Hinterland. Véritable prolongement de ce dernier, The Juniper Tree aborde essentiellement le sujet du deuil au sein d'un climat délétère où prône l'inquisition.
Jugée hérétique lors d'un procès ecclésiastique, la mère de Margit et Katla est lapidée avant d'être brûlée vive. Les deux sœurs, persuadées d'avoir hérité des "dons" de leur mère, s'enfuient et trouvent refuge chez un fermier veuf qui élève son petit garçon. Ce dernier lie une liaison amicale et sincère avec Margit, mais éprouve une pernicieuse aversion envers Katla qu'il considère comme une sorcière ayant ensorcelé son père...
Faute de moyens, le développement de The Juniper Tree s'achève 3 ans après son tournage et se voit projeté pour la première fois lors du festival du film de Sundance en 1990. Alors que le conte des frères Grimm relate comment un enfant devient le souffre-douleur de sa belle-mère qui finit par le tuer et le faire manger à son père, Nietzchka Keene, elle, préfère narrer le parcours de deux sœurs orphelines superbement interprétées par Bryndis Petra Bragadottir et la célèbre chanteuse Björk Guðmundsdóttir pour son premier rôle au cinéma.
Œuvre féministe tournée en noir & blanc dans un sublime paysage îlien, le premier long-métrage de Nietzchka Keene reste une incontestable réussite visuelle et narrative si l'on apprécie se projeter au sein d'un cadre pastoral rythmé par l'indolence de la nature (vent, ressac, chants d'oiseaux) qui éclaire, déjà, les prérogatives écologiques et artistiques de Björk. Une nature ici néanmoins imprévisible, voire hostile (à l'image de l'humanité au regard de la réalisatrice) où irruptions volcaniques se conjuguent à des saisons où prône l'imprédictible famine doublée d'une extrême pauvreté. Pour l'adolescente Margit (le personnage incarné par Björk), seule son imagination liée à sa persuasion d'être une sorcière, à l'instar de sa sœur et de sa mère, lui permet de conserver une note d'espoir face à la vie. Pour l'aînée, c'est l'utilisation de superficielles incantations auxquelles elle croit dur comme fer qui la pousse à manipuler son petit monde afin de survivre. Un désespoir sous-jacent et néanmoins omniprésent permet ainsi à la réalisatrice d'exacerber sa poésie visuelle bercée par une somptueuse partition de Larry Lipkis.
La toute-puissance de la femme "sorcière" renvoie bien sûr au féminisme contemporain, mais aussi au célèbre mythe de Médée et notamment à l’adaptation qu’en a faite Lars von Trier en 1988 (que j'ai récemment découverte), où le cinéaste danois, lors d'une scène traumatisante, osait montrer l’infanticide. De ce fait, le Medea de von Trier et The Juniper Tree fonctionnent en images miroir, dans un même climat oppressant. Le désir féminin devenant ainsi monstrueux face au patriarcat offre à ces deux œuvres une morale aussi réaliste que dérangeante dans un climat d'ultraviolence commun. Une impétuosité certes moins frontale de la part de Nietzchka Keene, mais tout aussi marquante et inoubliable. Un grand film.