J'apprécie Y. Ozu pour ses chroniques familiales, et M.Naruse pour son regard acéré, sans misérabilisme, mais aussi à l'inverse de Ozu, sans échappatoire, ni humour, s'attachant à poursuivre sa photographie dramatique de destins incertains et souvent féminins. L'absence d'humanisme et le portrait de vies où chacun semble responsable de sa propre déchéance sont compensés par sa bienveillance envers tous ses personnages, même si ici la caractérisation du masculin n'est pas toujours réussie.
Sa mise en scène esthétique est parfaitement cadrée avec un noir et blanc qui sert une ambiance douce amère et si l'intrigue se situe particulièrement dans ce bar à hôtesses, à la montée d'escalier éprouvante, le cinéaste élargit le drame à l'ensemble de la ville, avec deux scènes marquantes de pauvreté ou de dictature familiale, Avec ses décors soulignant l'enfermement, ses personnages plutôt mutiques et son ambiance lourde, Quand une femme monte l'escalier, rejoint les thèmes chers à Naruse sur la condition féminine dans un Japon en mutation sans que puisse s'ouvrir de nouvelles perspectives ramenant les destinées à de simples rêves inaccessibles. Ses héroïnes, définitivement cantonnées à leurs rôles d'objets de désir facilement remplaçables ou le choix revient à continuer une vaine recherche d'indépendance, ou à se marier pour s'enfermer ailleurs, à l'instar de leur prison dorée, où chacune recherche l'amant idéal pendant que d'autres ne voient en elles qu'un pis-aller à leur vies mornes.
Le suicide d'une femme criblée de dettes, rejoint en contrepoint le choix d'une autre et sa prostitution mondaine dans une joyeuse insouciance, accrochée aux mêmes rêves d'émancipation qui viennent se fracasser sur la dure réalité.
Les familles déjà pauvres et en deuil devront régler les dettes de leurs enfants, les demandes d'aides de Keiko doivent être compensées, mais le malaise frappe aussi les hommes, tout autant lâches qu'également prisonniers, encore tenus par les traditions mais prompts à profiter de cette nouvelle ère de semblant de liberté, dans la négation parfaite de l'autre.
La désolation de Keiko (Hideko Takamine), face à une famille critiquant ses choix de survie, et pourtant en demande constante de soutien l'enferme un peu plus dans une vie qu'elle rejette. Les sentiments passionnés et une histoire d'amour avortée, renvoient à 'Une femme dans la tourmente, sans en atteindre les sommets, et on peut regretter un certain manque d'émotion et des redondances ainsi que quelques scènes accessoires, avec l'acteur Tatsuya Nakadai, qui apparaît plutôt comme plus value au film.
A l'instar de Le repas et du rôle en miroir tenue par Setsuko Hara, femme au foyer qui malgré son escapade et sa rupture de quelques jours, reviendra finalement à cette vie subie, l'héroïne Keiko se retrouvera, elle aussi, malgré la lutte, à son point de départ. En ressort alors l'inévitable soumission et le sentiment de trahison envers elle-même, qui nous montre que Naruse n'en oublie jamais son pessimisme et offre à ses comédiennes de grands rôles tragiques.