Très silencieux depuis son premier coup d’éclat, Bullhead, Michael R. Roskam n’a pas non plus tardé à accoucher de son deuxième long-métrage. Les Etats-Unis en ligne de mire, le voilà aux commandes d’un scénario de Dennis Lehane, brillant auteur de Mystic River et Shutter Island entre autres. Si le cinéaste est discret, Quand vient la nuit confirme toutes nos attentes avec sa lumière sublime et une narration qui va crescendo. Le second métrage, souvent décrit comme une étape difficile dans la vie d’un réalisateur, est ici d’une fluidité déconcertante, analysant en profondeur l’Amérique d’aujourd’hui, rongée de l’intérieur par une opposition entre le Bien et le Mal, la morale et le capitalisme.
La discrète sortie en salles de Quand vient la nuit va de pair avec l’ambiance générale du film et le caractère du héros, un ensemble plein de modestie. Un film qui, par un savant art du dialogue, crée une ascension dans la tension. A l’instar du scénario, la mise en scène de Michael R. Roskam s’élève petit à petit pour finir par sublimer chaque plan qu’il a en sa possession. La collaboration extraordinaire avec le chef opérateur Nicolas Karakatsanis offre au film d’étranges tonalités visuelles, elles aussi torturées, qui ne cesseront jamais de s’estomper au fil du métrage. Le coup d’éclat de Roskam est d’avoir su américaniser la structure de son film, lui offrir des sursauts scénaristiques, sans jamais faire l’impasse sur ce qu’il avait réussi auparavant avec Bullhead. L’animal, ici le chien, est aussi le symbole de cette schizophrénie ambiante chez les personnages, capables de canaliser leur colère, de les rappeler à l’ordre, ou à l’inverse faire réapparaître la bête en eux. Tout sauf une redite à Brooklyn, The Drop (titre original) donne à Tom Hardy l’un de ses rôles les plus complexes, avec une rage intelligemment contenue tout au long du film. Sa confrontation avec Matthias Schoenaerts, l’autre pitbull du film, offre à Quand vient la nuit de purs moments de tension, illuminant ci et là le rythme en apparence tranquille du film.
Car, c’est là que le second métrage du cinéaste flamand fait fort. Le soutien de Dennis Lehane, qui adapte sa propre nouvelle à l’écran, donne à Roskam des dialogues somptueux et une psychologie des personnages poussée comme jamais dans le genre du film noir. Le réalisateur ne se repose pas pour autant sur ses lauriers. Lorsque la violence intervient, elle est glaciale, animale, presque nécessaire. Pour le personnage de Tom Hardy, les questionnements autour de sa moralité sont une composante de sa personnalité insondable. Ses regards dans le vide, sa volonté de toujours rester en arrière et ses répliques qui le rendent ballot, c’est aussi un récit d’apprentissage qu’intègre Roskam à la relation entre Hardy et Gandolfini. Là encore, le jeu des apparences reprend le dessus mais quel plaisir, il faut l’avouer, qu’offre ce film à tout amateur du genre, à tout cinéphile.
Dans une production cantonnée à quelques brillants metteurs en scène (James Gray, Scorsese, Winding Refn aussi…), Roskam porte à bras le corps son projet, dans ses errances, dans sa vacuité parfois aussi. Chronique splendide et magnifiée par des prestations toutes plus singulières les unes que les autres, Quand vient la nuit pue la rancœur et déverse sa haine pour cette Amérique de l’argent puissant, d’une mondialisation qui infiltre même les gangsters, avec un plaisir communicatif. La dernière scène de James Gandolfini est aux antipodes de ce que l’acteur avait prouvé avec les Soprano. Recroquevillé sur son siège, les yeux fermés pour ne pas penser à la douleur à venir, Gandolfini apparaît déjà affaibli pour ce qui sera son dernier rôle, mais n’a jamais renoncé. Son personnage est l’emblème de ce film à l’émotion palpable, superbement retranscrite par la sobre partition de Marco Beltrami, qui prépare sa déchéance lentement, tout en maintenant une surprise. A cause de sa distribution confidentielle, Quand vient la nuit s’affirme donc comme le grand film noir oublié de cette année, trop abrupt pour être apprécié par le plus grand nombre, à la beauté si intrinsèque qu’elle ne peut être comprise et ressentie par tous.
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