Pour être un réalisateur aussi populaire, ou tout au moins « mainstream » dans le cinéma français, François Ozon reste un auteur réellement singulier, en particulier du fait de l’aisance avec laquelle il passe d’un style, voire d’un genre cinématographique, à l’autre. Du coup, même si on est déçu par l’un de ses films, on « court toujours le risque » d’être ravi par le suivant. Et vice-versa. Et il est également intéressant de constater combien les laudateurs comme les détracteurs d’Ozon sont en désaccord systématique sur les films qui sont des réussites et ceux qui sont des ratages.
Ceci posé, après la virtuosité réjouissante, manipulatrice et caricaturale de Mon Crime, on était logiquement en droit d’attendre un tout autre registre avec ce Quand vient l’automne. Et ça ne manque pas : tout dans le dernier Ozon respire un certain cinéma français des années 70, chabrolien si l’on veut : la province où l’on bouffe bien et se promène dans la campagne, les lourds secrets de famille qui suintent la haine et l’hypocrisie, les crimes plus sordides que monstrueux, la médiocrité à tous les étages de la société française, etc. Même si on aimait beaucoup Chabrol, on n’est pas a priori très enthousiaste de voir Ozon suivre ses pas, mais c’est là une fausse crainte : le bougre est trop malin pour faire ce qu’on peut attendre de lui…
Quand vient l’automne ne raconte pas seulement la beauté de l’automne dans la campagne bourguignonne, bien sûr, même si cela justifie de belles images aux belles couleurs de saison, mais parle de « l’automne de la vie », ce qui n’est pas le sujet le plus attractif pour le cinéphile moyen : la salle où nous avons vu le film était d’ailleurs remplie quasi exclusivement de spectateurs du troisième âge, clairement empathiques par rapport aux épreuves vécues par Michelle (Hélène Vincent, très juste) face au rejet violent dont elle est victime de la part de sa fille, surtout après lui avoir servi un plat de champignons pas très digestes.
Là où Ozon se démarque de nos attentes, c’est lorsqu’il introduit une forme que l’on se plaît à qualifier de « lubitschienne », jouant largement le jeu des ellipses narratives et de « révélations » sur un ton de légèreté qui contraste agréablement avec les thèmes qui sous-tendent l’histoire du film : c’est ainsi que la violence des conflits parents-enfants ou le conformisme réactionnaire de la société française par rapport à ses marginaux, ne sont pas soulignés, mais constituent un sorte de fumier sur lequel vont pousser de belles plantes.
Quand vient l’automne confirme aussi la maturité d’Ozon, qui, il y a quelques années, aurait certainement tenté d’être beaucoup plus provocateur : ici, tout ce que l’histoire suppose comme mensonges, manipulations, trahisons même, et donc possibilité que la « société » et les « rapports humains » soient en fait totalement corrompus, est abordé plutôt avec un « sourire en coin ». Finalement, la jolie – et optimiste – conclusion du film est simplement que nous ne devons pas être dupes des soi-disant valeurs morales, ni de ce que l’on considère comme « la vérité ». L’important n’est-il pas que, en dépit de tout, nous soyons heureux ?
La morale du film est d’ailleurs exprimée en partie à l’écran : « l’important n’est pas tant de faire le mal que d’avoir voulu faire le bien ». Ce à quoi on a envie d’ajouter : l’important n’est pas tant la manière dont on fait le bien, mais bien qu’on le fasse. Soit le genre de réalisme qui parlera indéniablement plus à ceux qui « ont vécu » qu’aux plus jeunes dans la salle.
[Critique écrite en 2024]
https://www.benzinemag.net/2024/10/04/quand-vient-lautomne-de-francois-ozon-quand-le-mal-devient-un-bien/