Rencontre d'une écorchée vive de génie (qui s'appelle Jenny d'ailleurs, en français, bonjour l'onomastique) de 21 ans qui patauge dans le milieu carcéral depuis l'adolescence et d'une pianiste brisée et psychorigide. Pour expliquer mon titre : la première est l'esprit libre par excellence, la seconde est emprisonnée dans son passé.
Les relations entre personnages sont très bien étudiées.
En revanche, le traitement du passé, avec les récits dans le récit, les flash-back, etc, sont mal gérés, tant dans le contenu que dans le placement. Je pense qu'une approche un peu plus subtile, plus allusive du passé de Krüger aurait suffit. C'est un film sur la passion et le génie, de l'idéel donc. Or, ce pointillisme historique de la contextualisation, cette netteté de l'image, rende l'émotion compréhensible, explicable, logique. Le personnage de Krüger aurait gagné à un peu plus de mystère, avec seulement une révélation à la fin, dans une mise en scène moins brute (ex : qu'on ne voit pas le corps de sa dulcinée). Ou peut-être un suivi plus quotidien des personnages principaux (voir Krüger évoluer chez elle, regarder ses photos, lire la bible, que sais-je ?). De plus on n'a aucune idée des conditions de vie de Jenny dans sa cellule et de là, une certaine déception: sa gentille camarade lui promet un enfer dont nous ne verrons rien. Jenny n'a pas l'air plus fatiguée que ça (on lui a gentiment conseillé de ne pas fermer l'oeil), elle ne porte aucun bleus, aucune marque qui traduirait l'inimitié qui l'entoure : finalement, pépère la vie entre ennemies, non ? Alors certes, on peut se dire que, pour être sûres de lui pourrir la vie en beauté, ses compagnes de chambrée ont préféré attendre le dernier moment, mais ça me paraît quand même superficiel, un aperçu des brimades, une visible carence de sommeil, une vraie bagarre entre filles dans la boue, une petite prostration, ça n'aurait pas été un luxe.
Pour en revenir à Krüger, ses arguments trop moraux ne devraient pas toucher un être comme Jenny : "Dieu vous a donné un don, vous ne devez pas le gâcher", "Des gens aussi talentueux que vous n'ont pas eu la chance d'en faire profiter le monde, alors qu'ils en auraient eu la force, contrairement à vous"... Bon, c'est bien gentil tout ça, mais la seule raison pour laquelle ça fonctionne, c'est parce que, aussi (auto-)destructrice soit-elle, Jenny partage avec le reste de l'humanité, un sévère penchant pour la vie, et une secrète envie d'être sauvée d'elle-même. Krüger n'est pas stupide, et devrait savoir que ses justifications judéo-chrétiennes sont sans empire sur son élève. Mais bon, elle a du bol : le film en a décidé autrement.
Une BO un peu short à mon goût, ce qui est assez paradoxal.
Finalement, le film est surtout porté par son thème : la violence du génial. Et le personnage que j'ai préféré est finalement Mütze (je crois que c'est son nom), le maton décérébré qui rêve de gagner des millions en participant à un jeu télévisé sur "la musique". Nous n'avons qu'une brève image de son passage sur le plateau, mais elle propose une véritable réflexion sur l'ineptie de masse. (J'ai trouvé ça mieux amené que dans Requiem for a Dream)
Niveau casting, je dois avouer que mon capital sympathie pour le personnage de Krüger, interprétée par Monica Bleibtreu, abominablement bien enlaidie, n'a pas décollé du zéro. Certes, il nous fallait un personnage androgyne, voire carrément asexué, aux pulsions pleinement neutralisées, mais franchement... J'ai trouvé ce physique tout à fait désagréable de bout en bout.