Un objet étrange qu'on pourrait voir comme issu d'une Nouvelle Vague très tardive (1971, donc pas du tout Nouvelle Vague), et adapté d'une nouvelle de Dostoïevski, "Nuits blanches" — 12 ans après le prenant "Pickpocket" qui était lui aussi inspiré du même auteur et son "Crime et Châtiment". Un récit résolument poétique, soucieux du réalisme et de la vérité, sans doute trop conscient de cet aspect-là : je conçois très bien la rigueur de la démarche, un peu moins l'originalité, je me sens parfois dériver dans et avec les élans métaphysiques des personnages, mais ce mode d'expression (que j'attribue sans doute à tort à la Nouvelle Vague, donc) tellement dénué d'émotion rend le voyage assez pénible. Un squelette théorique sans la chair nécessaire pour raconter une histoire de tentative de suicide avortée et une étrange rencontre entre deux jeunes inconnus.
Ce n'est pas fondamentalement le minimalisme de l'ensemble qui dérange, il permet d'ailleurs à des scènes comme celle du bateau-mouche, très belle, presque magique, d'acquérir une telle puissance poétique. Dans ces moments-là, l'ellipse fonctionne parfaitement, et on pense notamment à cet instant volé, magnifique, où Bresson filme Isabelle Weingarten nue devant un miroir, tout en douceur sensuelle, tout en pudeur érotique. Mais les déambulations monotones et cette sempiternelle recherche de la "vérité" sont terriblement lassantes. On en vient presque à oublier le cœur du récit, cette rencontre malheureuse sous forme de désaccords amoureux sous-jacents. L'idéal adolescent teinté de romantisme se perd sous une couche de maniérisme désolant (les répétitions du protagoniste, en voix off, du nom de la jeune femme rencontrée "Marthe, Marthe, etc." sont insupportables). On se demande où commence le film et où finit la caricature... Et c'est bien dommage, car les grands thèmes liés au sentiment amoureux, la peur et l'espoir de l'attente, les divers refoulements, silences, et autres moments d'hésitation sont bien dépeints et dessinent le début d'un chemin que le film aurait dû emprunter plus franchement.
[Avis brut #88]