Quel magnifique portrait de l'homme froid, cynique et cruel que représente Jean Yanne. Si on réfléchit bien, sa présence à l'écran est assez courte, mais suffisante pour montrer ce que l'humain peut avoir d'abject, y compris d'écraser en voiture un enfant sans s'en soucier.
C'est la quête de vengeance qui va animer le formidable Michel Duchaussoy, dont on sent en permanence cette volonté de tuer ce monstre qui lui a pris une vie, alors qu'il se trouvait déjà veuf. Mais, et c'est là le génie de Chabrol et de Gégauff, c'est que la vengeance ne résout pas tout et qu'elle entraine d'autres dommages collatéraux.
Ce film de 1969 aurait très bien pu être réalisé par Fritz Lang ou Alfred Hitchock car tous les éléments du thriller à l'anglaise sont là : le meurtrier est connu très rapidement, le reste n'est qu'une remontée vers le seul coupable possible, et en se servant de ses proches (ici, la belle-sœur). Mais deux scènes de repas, absolument terrifiantes, montrent bien qu'on est chez Chabrol, que l'univers décrit est la petit bourgeoisie de Province, mais, et c'est sans doute l'apport de Paul Gégauff, une certaine ironie dans l'histoire.
Pour en revenir à Jean Yanne, dont ce fut le premier rôle majeur, il illustre très bien cette touche typiquement masculine que la colère renvoie à une forme de faiblesse. On le voit sans arrêt s'en prendre à sa femme et ses proches pour un rien, tout en pelotant la maitresse de maison (!), et la scène culminante du voilier est fondamentale, car il montre ici sa petitesse, car il est sur un territoire qui lui est hostile.
Pour parler des autres acteurs, notons aussi l'excellente Caroline Cellier (qui joue l'amante de Duchaussoy et qui va faire rentrer le loup dans la bergerie), et Maurice Pialat qui joue un commissaire par lequel va se déclencher la fin du film.
Tourné dans des paysages très froids, qui donne aussi au film cette apparence minérale, Que la bête meure est un film magistral, peut-être le meilleur film de Chabrol que j'ai pu voir. La noirceur de l'histoire est décidément bien servie par ces deux comédiens fabuleux qu'étaient Duchaussoy et Yanne.