Ah, quelle ironie salutaire d’exalter ainsi l’homosexualité, révélée et radieuse, d’un artiste soviétique majeur quand les dirigeants actuels de la Russie s’échinent à la réprimer à tout va… Poutine devrait en faire une syncope, le pauvre chéri, s’il voyait Eisenstein se faire ainsi déflorer le derrière avant que son amant ne vienne y planter un drapeau rouge, symbole de la révolution communiste. Foin de politique donc, arrogante et butée, et vive le cul, vive le cinéma ! Spécialiste et grand admirateur de Sergueï M. Eisenstein, Peter Greenaway ne pouvait célébrer autrement son émoi pour le cinéaste visionnaire, autrement qu’avec faste, ferveur et gaillardise.
Certains s’en offusqueront sans doute, et d’autres trouveront cela bien vain de réduire la figure d’un tel mythe à celle d’un toqué érotomane sur les bords (voir ses Dessins secrets) devisant avec son vit. Eisenstein, cinéaste de la propagande soviétique sous Staline, c’est évidemment Octobre, Alexandre Nevsky (la célèbre bataille sur le lac glacé) ou encore Le cuirassé Potemkine (le célèbre landau dévalant le grand escalier d’Odessa), étudié dans toutes les écoles de cinéma et analysé sans fin, décortiqué, montré, démontré, remontré. S’intéressant au séjour mexicain d’Eisenstein lors duquel il tourna Que viva Mexico!, son film maudit et inachevé, Greenaway se concentre surtout sur dix jours qui ébranlèrent les certitudes d’Eisenstein et sa vision du monde, du moins ses penchants sexuels et ses dispositions amoureuses.
Fuyant l’emprise de l’autorité stalinienne et les mascarades d’Hollywood, Eisesntein (Elmer Bäck, génial) découvre là, au cœur de la ville de Guanajuato, les joies de la licence et de la douceur de vivre en compagnie de son guide local. Farfelu, vulnérable, presque midinette parfois, l’homme à la coiffure échevelée sera pourtant rattrapé par le despotisme galopant de sa patrie et l’empressement de ses financiers (dont, en grande partie, le romancier Upton Sinclair). C’est précisément sur ce dernier point que le film perd de son principal intérêt quand Greenaway s’attarde inutilement sur ces histoires d’investissement, déréglant le vrai sujet (et le vrai plaisir) du film.
Alternant extraits de films, images d’archives, incrustations, split screens et travellings divers, Greenaway, en grand manipulateur d’images et de médias, semble s’amuser comme un fou, comme étourdi par la personnalité d’Eisenstein, et fasciné une fois de plus par un artiste en pleine déroute existentielle. L’évolution (tardive) de son cinéma, aujourd’hui plus spontané et plus euphorique (c’est son premier film où il n’y a aucun mort), ne l’empêche toujours pas d’entremêler Eros (Palomino Cañedo, le guide d’Eisenstein à travers ville, campagne et cimetières) et Thanatos (image de la mort joyeuse, si chère aux traditions mexicaines) pour exulter la vie dans un fourre-tout inégal et vibrionnant.
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