J'adore Elisabeth Moss. Il y a quelque chose dans son jeu qui rend chacun de ses personnages vivant, un mélange d'une certaine candeur et d'une force de caractère. Une précision dans les gestes, dans les intentions de voix, dans les grimaces de visage. Ca se voit dans Mad Men, ça se voit dans ses films depuis et ça se voit dans Queen of Earth. Elle représente finalement le parfait entre-deux entre le charme ingénu et la malice subtile du personnage qu'elle interprète ici.
Plutôt que de faire du film un thriller de femmes comme son pitch aurait pu le suggérer, Alex Ross Perry en fait ainsi un portrait plus hétérogène, ajoutant une certaine douceur et surtout une profondeur à son sujet malgré une instabilité inquiétante. Ce sujet, c'est avant tout la dépression, ses causes et ses conséquences. La dépression d'une femme presque au sens clinique du terme, qu'on ne peut expliquer malgré tout le mal que les personnages, le réalisateur et le spectateur pourrait se donner. Et c'est bien ça qui est terrible avec la dépression, c'est qu'on a aucune idée de comment la soigner ou de comment elle se manifeste. Cette tentative de justification psychologique est illustrée par Rich, un voisin de Virginia prétentieux et irritant dans son comportement exécrable. Une illustration caricaturale donc, mais qui agit surtout comme un élément perturbateur, dynamite, de la relation entre les deux femmes.
Cette relation est le point central du film, car même si le personnage principal reste bien celui de Moss, la mise en scène insiste beaucoup sur les échanges entre Catherine et Virginia, personnage auquel Katherine Waterston donne toute la froideur et la fausse stabilité nécessaire. Comble de l'incommunicabilité, ces "échanges" sont surtout des monologues, nombreux au cours du film, servant aux personnages tantôt d'exutoires tantôt de témoignages de leur vie. La caméra, près des visages, capte d'une traite ces discours qui sonnent terriblement justes car maladroits et intimes. Certains mots ou gestes ont même eu une résonance personnelle assez importante, une ressemblance assez incroyable avec le réel. Impossible donc de ne pas voir en ce Queen of Earth quelque chose de personnel de la part d'Alex Ross Perry, peut-être pas dans ce portrait de femme(s) mais en tout cas dans certains mots ou réactions, d'autant plus avec la présence de tels monologues.
Pourtant, la mise en scène adopte parfois un ton assez froid, notamment dans son montage, voire vainement complexifié. Variations temporelles déstabilisantes, fondus certes beaux mais paraissant calculés, faciles, on peut y voir un trouble judicieux des repères comme une manière un peu vaine de rattacher le film au genre du thriller. Un genre auquel il n'appartient finalement pas tellement, malgré une bande-sonore adaptée et un jeu sur l'opposition entre la tranquillité du lieu et l'instabilité des sentiments. C'est qu'en fait, malgré cette enveloppe légèrement maniériste, le sujet même du film ne renvoie aucunement à l'idée de suspense ni d'actions violentes. Tout juste à celle d'une rivière perturbées par ses propres ondulations.
Car mis à part une scène de soirée mettant mal à l'aise avec réussite car subjective, le moment le plus violent du film reste ce raccord final génialement terrible, opposant les larmes au rire de manière irrémédiable et donc pessimiste. Le reste, en témoigne l'arrêt sur image de fin et le générique très élégant, appartient davantage à la chronique psychologique. Une chronique non pas spécialement féministe, mais partant d'un cri du coeur et donnant à voir une vision de la dépression particulièrement juste.
Queen Elisabeth.