Quelques heures de printemps par pierreAfeu
En allant voir Quelques heures de printemps, on sait qu'on n'y va pas pour rigoler. Puisque le film parle de la mort, et notamment du suicide assisté, on se dit qu'il s'agira pour nous d'une confrontation intime entre ce qu'il aura à nous dire et notre propre vision du sujet - quelle soit claire ou pas. C'est le cas, bien au-delà sans doute de ce qu'on pouvait imaginer.
Quelques heures de printemps est un film d'une rare précision. Solide dans son scénario, et d'un réalisme niché dans le moindre détail du moindre décor, il avance pas à pas, débusquant les instants de gêne, les silences, allant là où il doit aller, au bout de son idée, au bout de son histoire. La profonde honnêteté de Stéphane Brizé est de ne jamais nous prendre en traître. Lorsque l'émotion nous submerge, c'est net, ce n'est pas une entourloupe. Quelques heures de printemps est à 1000 lieues des putasseries qu'on pourrait nous infliger sur un tel sujet. Si le film est froid, il n'est pas contre ses personnages. Quasiment parfait dans son écriture (une séquence de trop sans doute, celle du parking de supermarché), Quelques heures de printemps s'impose par sa détermination. Sa force est sa justesse, et quand on lit dans Les cahiers du cinéma que "la promesse de printemps se borne à quelques miettes de tendresse lâchées dans un océan de misanthropie" on a juste envie de mettre une tarte à celui qui se prétend critique.
Yvette pourrait être notre voisine, notre tante, notre mère. Elle pourrait tout aussi bien être nous-même tant on se retrouve dans tout ce qu'elle est, son intérieur immuable, ses habitudes, sa modeste vie. Le film commence comme une version mère-fils du Chat sans que l'on sache vraiment si ces deux-là se sont jamais aimés (la chienne Calie jouant ici un personnage de lien et non d'opposition, et imposant les seuls moments "drôles" du film). Entre la rigidité de la mère et l'inaptitude du fils à vivre, le courant passe mal. Puis la maladie de la mère fait sa place et impose un rapprochement sans pour autant restaurer le dialogue.
L'air de rien, la mise en scène de Stéphane Brizé est là. On n'y prête d'abord pas attention. L'image est triste, les décors aussi. Beaucoup de scènes dans la(les) cuisine(s), presque rien en extérieur. Brizé nous installe dans les habitudes de ses personnages, celles d'Yvette et de son voisin, Monsieur Lalouette : des décennies de journées répétitives. Quand on demande à Yvette si elle a eu une belle vie, elle ne sait pas répondre. Elle sait en revanche que la décision qu'elle vient de prendre est sans doute la seule décision prise dans sa vie. Et elle concerne sa mort.
Hélène Vincent est juste formidable. Elle est cette femme à la vie monotone qui repasse son linge jusqu'au moment du départ, termine son puzzle, s'assure qu'elle a bien remis les clés de la maison à son fils, cette femme qui fait les choses "parce que c'est comme ça", qui prend enfin une décision et l'assume, qui s'efforce de paraître forte et s'effondre en pleurs repliée sur son lit. Face à elle, Vincent Lindon réussit encore à donner vie à un personnage tellement vu, celui du taiseux, infantile et violent dans ses accès de colère, puissant dans ses silences, réellement habité dans les dernières scènes. À leurs côtés, en voisin sensible, "brave homme" attentif aux autres, Olivier Perrier est parfait, de même que Ludovic Berthillot (découvert dans Le roi de l'évasion). Emmanuelle Seigner est également très crédible et très juste.
Dans son essence même, sa facture minimaliste, le sujet qu'il traite, Quelques heures de printemps se place en dehors du tout venant de la production cinématographique. Rares en effet sont les films que l'on vit de manière si intime.