Babel without a cause
Le cinéma de Cristian Mungiu appartient à cette catégorie si facilement caricaturable, cochant à peu près toutes les cases du film d’auteur à festival : roumain, social, long, d’un pessimisme...
le 21 oct. 2022
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Dans R.M.N. (pourquoi ne pas l’avoir traduit par IRM ?), Cristian Mungiu sonde l’esprit malade de la population roumaine chez qui il détecte la tentation fasciste, la xénophobie, la peur animale de l’autre, la masculinité toxique, les violences conjugales mais encore les travers d’un monde globalisé où le lucre et le bénéfice absurdement règnent. Au-delà de ces maux particuliers, il parvient à atteindre parfois une certaine universalité, ce qui relève des grandes œuvres.
Cristian Mungiu, à l’instar du turc Nuri Bilge Ceylan, du russe A. Zviaguintsev, de l’iranien A. Farhadi ou encore du japonais H. Kore-eda, fait sans aucun doute partie de ce cercle restreint des grands cinéastes contemporains habitués de la croisette et ne le déméritant pas. Dans la lignée directe des frères Dardenne, il traque les maux et les dérives de la société contemporaine avec une acuité rare. Ici, dans IRM (allez, je le traduis), il choisit comme proie de son regard acerbe une Transylvanie sauvage, entourée de forêts mystérieuses, habitée par des ombres fuyantes, potentiellement des ours, quelques autochtones n’ayant pas quitté leur pays pour travailler hors frontière, des citoyens hongrois et allemands, un français mais pas de tziganes, ceux-ci ayant été soi-disant chassés du territoire, comme doit l’être la poignée de Sri-lankais venue à son tour dans la boulangerie industrielle du coin gagner un peu plus d’argent que dans son pays. Tout ce beau monde, formant un melting-pot babélien, divers et incohérent, fruit d’une mondialisation où l’argent a aveuglement pris les rênes, vit dans une cohabitation instable menaçant à tout instant d’imploser. Évidemment, la scène de la mairie, où s’affrontent verbalement tous les protagonistes, exprimant librement leur haine et frustration, convergence de toutes les forces et pulsions destructrices, en constitue la géniale acmé.
Grâce à l’usage du hors champ, Mungiu préserve intelligemment un suspens autour de la présence inconnue dans la forêt ; il y fait habiter bien des peurs modernes, autour de l’enfance mais pas seulement, comme la pédophilie, le viol, le vol, le crime, le suicide mais aussi la présence de l’animal sauvage et carnassier. Puis, à travers une coupe transversale, il nous montre tour à tour un homme sachant rendre sa propre justice mais noyé par une virilité excessive, une femme et mère de famille courageuse malgré sa peur de l’homme animal, une patronne d’entreprise à la fois soucieuse de son intérêt personnel économique et intégratrice des communautés étrangères, son adjointe musicienne à ses heures perdues, buveuse de vin et seule car fraîchement divorcée, des habitants du village ouvertement hostiles à la présence d’étrangers et dont les hommes sont rustres et grands buveurs et les femmes pugnaces dans leur haine, un prêtre aussi proche de ses fidèles qu’hypocrite dans la défense des valeurs chrétiennes, un français compteur d’ours et incapable de dompter l’humanité : autant de micro-portraits construisant un film choral, loin de tout didactisme, manichéisme ou parti pris, s'égarant toutefois un peu en partant dans tous les sens avec l'intention d'explorer une trop grande complexité.
En préservant la métaphore médicale présente déjà dans Baccalauréat où il diagnostiquait une Roumanie rongée par le cancer de la corruption, Mungiu dresse un bilan de santé sans espoir de guérison d’une Europe se refermant sur elle-même jusqu’à l’autodestruction. Un film majeur de l’année 2022.
Créée
le 25 avr. 2023
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