... the upper class treats 'em like shit."
Pour sa première apparition au cinéma en tant que personnage principal, Bob Hoskins est presque de tous les plans dans ce film de gangsters anglais, un film qui d'ailleurs jouit d'une très grande notoriété dans les sphères anglo-saxonnes mais qui reste étonnamment confidentiel en dehors de ces frontières. L'idée a priori de le voir cabotiner à l'extrême dans la peau de ce qu'on pouvait imaginer comme un mafieux à la Joe Pesci chez Scorsese n'était pas follement engageante, mais sa prestation dans The Long Good Friday relève in fine de la performance aussi appréciable qu'inattendue. Et le fait que cela fonctionne si bien est également à relier au travail de John Mackenzie qui a su créer tout autour de lui un décor prenant, crédible, dénué de manichéisme, pris dans un étau qui augmente progressivement son serrage.
Le contexte historique dans lequel s'inscrit cette histoire de gangsters est assez intéressante vu d'aujourd'hui, au tout début des années 80 britanniques, car c'est à l'orée de la thatchérisation que se déploient les magouilles de Hoskins aka Harold Shand qui s'apprête à signer le contrat d'un juteux marché immobilier en lien avec la mafia outre-Atlantique et son homologue interprété par Eddie Constantine. On comprend que les affaires tournent bien et l'ont fait prospérer confortablement au cours des années passées... jusqu'à ce qu'une série d'incidents commence à faire trembler les murs de cette tranquillité.
Et dans la retranscription de l'état d'esprit du protagoniste qui voit la menace apparaître, se confirmer, se préciser, sans parvenir à l'identifier formellement, le film excelle. On ne comprend pas vraiment ce qu'il se joue dans la séquence d'introduction, et pourtant c'est elle qui scellera le destin d'à peu près tous les personnages, explicité dans les derniers moments du film au cours d'une séquence tragique sur un bateau. Ça commence par l'assassinat de sa mère, ça continue avec l'explosion d'une bombe dans le restaurant où il devait recevoir son associé, et ça persévère avec la mort d'un de ses hommes de main à coups de couteau. Si c'est l'hypothèse d'une guerre des gangs qui prime initialement, dans l'optique d'un sabotage, l'apparition de l'IRA dans les inimitiés change radicalement la donne.
Racket - Du sang sur la Tamise tire son épingle du jeu et son point de singularité en concentrant son attention non pas sur les attentats matérialisant la guerre entre deux factions mais sur l'impact que cette situation a sur le personnage de Bob Hoskins, d'abord serein et peu inquiet, puis peu à peu préoccupé par ce qui se trame avant de sombrer dans une angoisse accablante, ne sachant pas dans quelle direction riposter. L'acteur parvient à trouver un équilibre appréciable dans ce rôle casse-gueule par définition où on a tôt fait de verser dans tous les excès, aidé en cela par sa femme sous les traits de Helen Mirren, excellente dans le contrepoids féminin qu'elle offre, sensé et mesuré, mais aussi dans la souffrance qu'elle subit et qui en miroir rappelle à Hoskins à quel point il est en train de péter les plombs — très belle scène de dispute révélant les angoisses du couple.
Finalement, on ne saura que très peu de choses sur cette organisation qui s'en prend à Harold Shand. Tout juste apercevra-t-on le visage du jeune Pierce Brosnan, côté IRA, aux traits juvéniles pas encore tout à fait dégrossi, pour sa première apparition au cinéma. Il flotte dans l'air une menace sourde, rappelant les polars anglais comme La Loi du milieu dans lequel Michael Caine aurait été remplacé par une version contemporaine de James Cagney, tout en nervosité. Le film aura su distribuer ses séquences mémorables avec parcimonie, comme l'interrogatoire violent au gros couteau, la réunion de suspects dans un abattoir suspendus à des crocs de boucher, un coup de tesson de bouteille asséné directement à la gorge, ou encore cette ultime séquence via un long contrechamp sur le visage très signifiant de Hoskins.
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