Révélations possibles sur la toute fin du film.
Deuxième film reconnu de David Cronenberg, Rage ! se pose en effet comme un film de transition : il reprend la sexualité évoquée au travers de Frissons pour la mêler aux transformations corporelles poussées proposées par Chromosome 23. Dès le départ, c'est très viscéral : le côté film d'horreur de son temps, à petit budget, filmé modestement, appuie le réalisme des scènes et la tension de l'épouvante.
D'autant plus que Cronenberg, grand acharné qu'il est, a pris pour protagoniste une actrice de film x, Marylin Chambers, qui transmettra ce virus de la rage par le désir sexuel. Il y a toujours cette propension à rendre la sexualité crade, perverse, mortelle : un peu comme la série b sympathique La Mutante, Rage ! proposait déjà, une vingtaine d'années plus tôt, une thématique du désir profondément perverse et gênante : Eros et Thanatos unis, l'ami David se déchaîne et nous dévoile les vices de ses personnages jusqu'à leur mort, plus suggérée par talent que par manque de moyens, des acteurs professionnels étant contaminé par une actrice de films x. Les plus farfelus pourront en déduire que Cronenberg prédisait la venue du cinéma international pornographique, à l'époque en plein essor.
Profondément cynique, il nous dépeint une société qui se construit sur le sexe à outrance, qu'on pourrait qualifier de mauvais sexe : voyeurisme, tromperie, luxure et viols (à plus ou moins grande échelle), le tableau des réjouissances, profondément malsain, pose ce qui sera le cinéma du réalisateur : glauque, représentation excessive des travers de nos sociétés, l'art de Cronenberg tapera dans les dents en nous exposant les envies qu'on rattache au corps, et qui peuvent être nocives à l'excès.
Ainsi, son film d'infectés passe du champ de la critique d'une routine sociale à celui de satire de la représentation qu'on peut avoir des couples, en témoigne cette dernière partie, dramatique, d'une rupture par téléphone. Un triste constat, purement ironique, cynique, à la limite du sarcasme qui laisse sur le cul : il aura suffit d'une benne à ordure, de deux éboueurs pour signer une conclusion affligeante d'ironie, et d'une séquence de téléphone enragée pour sceller le destin des deux personnages principaux, au travers d'une tension des plus efficaces et d'une envolée de colère très bien rendue par des acteurs convaincants (à ce moment).
Seulement, Rage ! pâtit de la réalisation encore trop classique de Cronenberg : ses plans simples, champ/contre-champ pour la plupart, sa caméra trop stable qui manque d'envolées, de pics d'émotions le rend légèrement dépassé, vieillissant. Plus que vieilli (qui ne semble pas être un problème), il en est devenu dépassé : le jeu d'acteur inconstant doit y jouer pour quelque chose, notamment au travers de la prestation irrégulière de Chambers et de l'acteur principal, tous deux excellents sur la fin quand ils étaient soit caricaturaux (la représentation du couple n'échappe pas aux clichés américains, pour les détruire ensuite de manière salvatrice par l'intelligence de l'écriture) soit peu investis (Chambers qui tue les désireux n'est guère effrayante).
La peur, plus que d'être transmise par la prestation des acteurs, viendra ainsi plus de cette même mise en scène posée qui, si elle manque encore de fluidité et de dynamisme, sait déjà très bien poser son ambiance, étayer son propos et mettre en valeur ses maquillages profondément répugnants. En ce sens réussi, Rage ! a conservé son impact initial : à certains moments plutôt gênant, il illustre talentueusement la réflexion de son réalisateur, et se pose comme un second regard intéressant de ce qui se perpétuera, au travers de multiples grands films sortis à peine plus tard, comme l'une des plus grandes carrières d'un réalisateur épouvante/fantastique de l'histoire du cinéma moderne.