Carrie au bal des enragés.
Comme pour beaucoup d'auteurs de cinéma, Cronenberg a réalisé des premiers longs-métrages plein d'envie, de charme, d'innocence, de maîtrise - sans que se soit encore "Dead Zone"(1984) ou "La Mouche" (1986) - mais faits aussi d'une photographie un peu sale (ce qui n'enlève rien au charme, bien au contraire...), de quelques approximations et d'une crudité parfois déroutante. "Rage" est de ceux-là.
Sorti après "Frissons" (1975), le film a un excellent rythme. Le résumé de Senscritique précise ici que la jeune femme, Rose, est "complètement défigurée". Ce n'est pas le cas. Après son accident de moto, elle n'a récolté "qu'une" grave blessure au niveau du ventre et sur le flanc droit mais en aucun cas est "défigurée".
Avec son ami, Rose est conduite dans la clinique privée de chirurgie esthétique (fantasme de Cronenberg?) près de laquelle ils ont failli trouver la mort. Si l'on connaît assez bien l'oeuvre du cinéaste canadien, on devine facilement ce qu'il peut advenir des victimes de l'accident, qui sont vite perçues comme "une aubaine" (entendez "cobayes") par l'un des médecins de la clinique. Effectivement, avant l'accident, on se trouve spectateur d'une discussion un peu obscure entre médecins. Il y est question d'un projet X, de budget, d'expériences, etc. Alors que la jeune femme est opérée, l'opportuniste médecin en profite pour faire des prélèvements de peau. De là l'origine du "mal", le prélèvement de peau provoquant indirectement cette "Rage", sans qu'on ne sache réellement pourquoi (sans explications scientifiques). La peau de Rose a été remplacée par une autre, son corps en est bouleversé, profondément modifié, et a opéré une mutation diabolique. Au contact d'autres personnes, d'autres corps, Rose a soif de sang (de "sexe" quoi), et dans le même temps provoque la mort (sa mutation provoque une rage contagieuse). De là toute la passion de David Cronenberg, à laquelle est intrinsèquement lié son cinéma : un organisme, quel qu’il soit, en perpétuelle mutation. Par conséquent, le contexte dans lequel l'organisme agit est lui-même bouleversé. En outre, le génial cinéaste se permettait même une métaphore. Quand on voit la forme phallique que la mutation a provoquée sur le corps de Rose, le sexe est clairement vu ici comme l'origine du mal, un mal provoquant la mort, ou tel un mal "transmis" comme une épidémie. Bref, l'ambiance est parfaite, mode "série B", noire, mélange X et horreur.
Nb : Cronenberg voulait Sissy Spacek dans le rôle de "Rose", il l'avait adoré dans "Badlands" (1973), de Terrence Malick. Ne pouvant l'obtenir pour son film, Ivan Reitman (producteur pour "Rage") lui conseilla Marilyn Chambers, une actrice pornographe de l'époque. Le cinéma dans lequel elle avait l'habitude d'évoluer alors trouve également une curieuse résonance allégorique dans le "phalus" "cronenbergien" de Rose.