Sorti deux ans à peine après Frissons, Rage ! semble encore aujourd’hui condamné à souffrir de la comparaison perpétuelle avec son prédécesseur, au point d’être envisagé par une grande partie de la communauté cinéphile comme un décalque moins réussi du premier long-métrage de Cronenberg. Il est vrai que sur le papier, l’intrigue du film (une expérience scientifique novatrice à l’origine d’une épidémie incontrôlable réveillant les instincts les plus primaires des victimes) est très similaire à celle de Frissons. Et que la vision personnelle et novatrice de ce dernier, à la frontière du film d’auteur, du cinéma d’exploitation vénère et de l’expérimental, semble ici céder la place à une approche davantage orientée vers le grand public, plus dans les clous en somme.
Ce serait toutefois occulter les nombreuses qualités de ce Rage !, à commencer par le gap visuel assez hallucinant entre les deux œuvres, les maladresses techniques et l’interprétation en dents de scie de Frissons (certes imputables à un budget très limité) cédant la place à une mise en scène, un montage et un jeu d’acteur bien plus élégants. Et si la trame narrative adopte les contours classiques d’une série B tendance invasion zombie, elle n’en demeure pas moins d’une efficacité redoutable : le réalisateur maîtrise comme personne la rythmique de son récit et l’établissement d’une tension progressive, assénant régulièrement au spectateur de purs accès de cruauté sans jamais avoir à verser dans le gore explicite. Tout en le gratifiant de ces transgressions typiquement cronenbergiennes : le rôle principal tenu par l’icône du porno Marilyn Chambers (le fait que le film soit produit par une société spécialisée dans le X a certes dû jouer…), l’appendice surgissant d’une aisselle pour contaminer ses victimes encore plus explicite que les limaces phalliques de Frissons…
Mais le véritable intérêt de Rage ! réside avant tout dans le parallèle thématique qu’il tisse avec son prédécesseur, dont il est tout autant une continuité qu’un miroir inversé : si Frissons se concluait par les prémisses d’une contamination à l’échelle mondiale, envisagée comme une étape de l’évolution humaine susceptible de renverser les fondements d’une société moribonde et figée dans ses archaïsmes, Rage ! dépeint cette même contamination sous un jour beaucoup plus amer et désenchanté, anticipant de manière troublante le brutal revers à la révolution sexuelle que constituera l’apparition du sida. Sans parler de ces nombreuses scènes à base d’hystérie collective, d’instances gouvernementales dépassées par les évènements ou de pass vaccinal, désormais rendues quasi-visionnaires par la crise du Covid. Rage ! est aussi l’occasion de tordre le coup à cette image d’analyste clinique et froid qui colle trop souvent au metteur en scène canadien : la tragédie vécue par le couple de protagonistes occasionne des moments d’émotions palpables, et annonce la figure des amants maudits que Cronenberg portera à son point d’incandescence avec son chef-d’œuvre La Mouche.