Le retour des vétérans du Vietnam sur le territoire américain fût une étape essentielle de la reconnaissance de ce que l'on allait appeler le "syndrome de stress post-traumatique". Les symptômes du traumatisme ont été brillamment mis en image par Ted Kotcheff dans son film de 1982.
Le film s'ouvre sur une route, image qui reviendra constamment dans le film (jusqu'au titre du morceau de fin). Rambo est qualifié de vagabond, semble avoir perdu tout ce qu'il pourrait qualifier de foyer (jusqu'à ses amis, tous morts). Ce leitmotiv de la route nous décrit un homme incapable de se poser, de s'investir dans le présent. L'expérience traumatique dérègle la perception du temps : les traumatisés revivent sans cesse leur traumatisme, les empêchant ainsi de considérer cette expérience comme une histoire comportant un début et une fin faisant partie du passé. Dans le film, quand le colonel Trautman tente de raisonner John Rambo en lui indiquant que la guerre est terminée, la réponse est sans appel : "Pas pour moi".
Cette impossibilité d'investir le présent empêche également le traumatisé de retrouver un sens signifiant à sa vie dans la banalité du quotidien. C'est particulièrement vrai pour les traumatisés de guerre, l'expérience du combat apportant une adrénaline autrement impossible à retrouver. Rambo nous le dit d'ailleurs, il était responsable d'équipements coûtant des millions de dollars et de vies humaines, et aujourd'hui il n'est plus capable de garder un parking.
Les traumatisés auront tendance, de manière consciente ou inconsciente, à toujours retourner à leur situation de traumatisme. Par envie de retrouver des sensations, par peur de l'inconnu... Si Rambo reproduit les conditions de son traumatisme de manière assez évidente dans le film, on peut éventuellement dire la même chose de Will Teasle, le shérif qui avec une réplique redonne au film toute son ambiguïté : "Vous croyez que John Rambo est le seul à avoir souffert au Vietnam ?". Son obstination à poursuivre une situation de traque et de danger en jungle rappelant toujours celle de l'Asie du Sud-Est peut nous donner une idée de son expérience de la guerre et son désir de la retrouver. Par là, le film s'inscrit pleinement dans le Nouvel Hollywood en faisant de l'antagoniste principal le système dans lequel les protagonistes ne font que se débattre. Si Rambo et Teasle ne sont pas blanchis par le film de leurs actes, la véritable dénonciation se fait sur l'abandon de ces vétérans par la société américaine (autant les institutions qui mettront des années à pleinement reconnaître l'importance du PTSD, que les civils et leur accueil glacial des vétérans considérés comme des "tueurs d'enfant").
En début de film, Rambo apprend la mort de son dernier ami par cancer causé très probablement par son exposition à l'agent orange. "Il est mort au Vietnam sans même le savoir". Cette réplique s'applique autant au dernier lien de John avec le monde que pour lui-même, individu désormais incapable de vivre dans le présent, incapable de reprendre une vie sociale. Mort sans le savoir.
Un fantôme pas encore enterré cependant, le freeze-frame final montrant notre héros marchant au pas sur la route qu'on lui aura imposée, mais son regard prenant une direction tangente pour observer la lumière. Magnifique image de la résilience de la nature humaine, qui malgré les épreuves les plus destructrices pourra continuer de se montrer volontaire pour retrouver le chemin vers la vie, et ce, même lorsque le chemin qu'on lui dicte l'emmène dans une mauvaise direction.
Désespoir et espoir se côtoient dans une même image, sans rapport dialectique mais plutôt comme une simple observation, bienvenu dans le Nouvel Hollywood.
Les idées de cette critique concernant le traumatisme sont tirées du livre Le Corps n'oublie rien du psychiatre américain Bessel Van der Kolk, dont la lecture est aussi difficile émotionnellement qu'enrichissante, et que je recommande à tous ceux qui se seront sentis touchés par le sort de John Rambo.