Tirez les premiers, messieurs les abrutis
Ah, Rambo. John Rambo.
Nous sommes en 1983. Reagan s'est imposé, America is Back. Bientôt Hollywood offrira à l'ancien acteur devenu Premier Shériff du Monde Libre sa litanie de purges patriotiques plus ou moins réussies, à bases de Chuck Norris pulvérisant le Vietnam à lui tout seul, d'une bande de rebelle repoussant une invasion soviético-cubaine dans Aube Rouge, de pilotes au sourire ravageur dans Top Gun, ridiculisant le top du top des chasseurs rouges. Déjà Clint au top du top dans son extraordinaire zinc de renard, avait amorcé en quelque sorte ce revival des héros US fracassant du communiste.
Faut dire que Coppola avait craché dans la soupe, l'enfoiré : un Apocalypse Now ravageur, venant mettre à mal u moral US déjà pas folichon ; et que dire de cet enfoiré de Cimino et de sa roulette russe ! Ou de Scorcese et de son taxi à la con : COMMUNISTES VA !!
Heureusement Stallone est là. Il va, lui aussi, raser le Vietnam, puis purger l'Afghanistan en aidant les gentils futurs talibans.
Tel est le contexte terrible qui explique sans doute comment Rambo est devenu une sorte de sous-héros des élites bien pensantes, françaises, ça va de soit, gerbant sur ces œuvres de pure propagande. Oui mais voilà, on se trompe. On s'égare. John Rambo, avant de se perdre dans des combats ridicules, est né au Vietnam. Machine de guerre, il est rentré bouleversé, brisé par cette expérience. Perdu, haït comme nombre de ses pairs par toute une jeunesse qui pissait sur ces salauds de GI qui napalmaient de pauvres Viêt-Congs au service d'un communisme trop fun et ouvert, John erre.
Ce film, vendu comme un très bon film d'action, l'est. Le rythme, les séquences de canardage, les explosions, les sauts improbables, le chassé devenu chasseur, cette nature, tout pousse à croire en un pur film d'action. Après tout c'est Stallone et c'est objectivement très bien fait. Et puis avec une telle affiche, la M60 en bandoulière prête à dessouder toute une armée à elle toute seule, il semblait peu évident qu'on nous vende autre chose qu'une bonne dose de testostérone agrémentée de BOUARG C'EST MA PUTAIN DE GUERRE MON COLONEL ET CA VA PETER !
Pour peu que l'on prenne le temps de le regarder avec attention, ce First Blood est un uppercut dans les certitudes de cette Amérique Reaganienne du début des années 80. Oui, le Vietnam a été perdu. Oui, ceux qui s'y sont battus ont été mis de côté, abandonnés, jetés en pâture aux médias ou aux bons américains de l'Amérique profonde qui eux, par le passé, avaient exporté la démocratie triomphante dans une Europe nazifiée et lessivé le Pacifique du Soleil Levant. Quid des communistes ? On s'en fout, on aura deux autres films pour en parler. Ce portrait terrible, pathétique, certes use des grosses ficelles du cinéma d'action, mais pose de véritables questions sur le retour au pays des anciens combattants, sur l'autre, celui qu'on veut cacher, sur la honte. Le monologue de John est porteur d'une véritable puissance dramatique et nous rappelle, qu'à l'instar de son rôle dans Rocky, Stallone peut être plus nuancé que sa légende, entretenue avec le dernier dispensable, de gros bourrin sans cervelle.