« C’était pas ma guerre ! » Cette fameuse réplique, qui nous a, pour beaucoup, été rendue célèbre grâce à la voix d’Alain Dorval, vient exprimer le désarroi d’un homme, un personnage de cinéma devenu culte, qui ne demandait rien sinon la paix. Depuis les (presque) quarante ans qui nous séparent aujourd’hui de la sortie initiale du film, quasiment tout a déjà été dit sur ce film de légende, qui a été décortiqué et étudié sous toutes les coutures. Mais, à quelques semaines à peine de la sortie de Rambo V : Last Blood, nouvel opus de la saga, un petit retour aux sources semblait assez opportun.
Rambo, c’est l’histoire de ce vétéran du Viêt Nam qui erre de ville en ville sur les routes des États-Unis, à la recherche de ses anciens compagnons d’armes. Loin de l’enfer de la jungle, il cherche un but à son existence, et c’est bien ce qui gêne les forces de l’ordre locales qui voient d’un mauvais œil celui qu’ils considèrent comme un vagabond. Devenu marginal, cible idéale, Rambo devient la proie dans une véritable chasse à l’homme. Mais peut-on réellement chasser un homme quasiment revenu à l’état sauvage ? C’est ce qui constitue tout le cœur de l’intrigue et de la réflexion proposée par Rambo, film d’aventure, d’action et de guerre qui vient ramener l’humanité à ses origines. Plus qu’un film culte, c’est une remarquable illustration de la guerre et de ses effets sur l’Homme.
Le sort réservé à Rambo est à l’image de ce qui arriva à beaucoup de soldats démobilisés après la guerre. Au cinéma, une quarantaine d’années auparavant, Eddie Bartlett, personnage principal des Fantastiques Années 20 (1939) joué par James Cagney, tentait de retrouver sa place dans la société après avoir combattu sur le front français lors de la Première Guerre Mondiale. Il ne put retrouver cette place, et dut se mettre au commerce illégal d’alcool lors de la Prohibition. Ici, la problématique de la réinsertion s’exprime à travers la solitude de Rambo, qui erre seul de ville en ville, qui cherche ses anciens camarades, et qui n’a, apparemment, pas de famille. Pire que de ne pouvoir obtenir cette réinsertion, on la lui refuse. Car Rambo n’est pas juste un soldat devenu vagabond, il est devenu l’esprit de la guerre, qu’on refuse de regarder en face, et qu’on préfère chasser de nos esprits. En effet, en ramenant Rambo dans la forêt, dos au mur, on le ramène dans l’état de bestialité dans lequel la guerre l’a plongé. Mais, au-delà de cela, il a été contaminé par la guerre elle-même, dont il est devenu la représentation.
De nos jours, l’idée d’un monde en guerre semble de plus en plus lointaine, même si de nombreux conflits locaux continuent de sévir à plusieurs points du globe. La guerre du Viêt Nam fut un cas très particulier pour les américains, divisant le peuple, ayant l’image d’une guerre impérialiste, terriblement cruelle, et elle représente aussi un échec inédit pour le pays et l’idéologie qu’il prône. Rambo est un épiphénomène de ce conflit et de son image auprès de la population. Enrôlé par son pays, il est devenu, à son retour, un paria, un indésirable. Cette guerre, on ne veut plus la voir. Mais il ne s’agit pas de la dénoncer, il s’agit de l’anéantir en faisant la guerre à la guerre. Ici, c’est la destruction de l’homme par l’homme. Ce n’est pas juste la guerre qui le détruit, ce sont les institutions-mêmes du pays qui la mènent, qui le détruisent. Rambo, c’est l’idée selon laquelle ceux qui mènent et qui approuvent la guerre ne valent pas mieux que ceux qui la font, au contraire, même. Autour, la nature reste reine et spectatrice, pendant que les Hommes se détruisent entre eux.
Si les suites qui seront offertes à ce Rambo prennent totalement son contre-pied en prônant une forme d’action décomplexée et en transformant le vétéran en une machine de guerre, ce premier opus a su faire date dans le genre, en plus de donner naissance au second personnage emblématique qui suivra Sylvester Stallone tout au long de sa carrière. Rambo est un grand moment d’action, mais il va plus loin, faisant de Rambo le porte-voix des victimes de la guerre et de l’horreur qu’elle répand, une âme damnée et brisée, dont les cris et les pleurs résonnent encore dans nos têtes.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art