La bonne trentaine d'année qui me séparait de ma première vision du film en avait obscurcit le souvenir pour deux raisons distinctes.


D'abord parce que des suites putassières, qui prenaient le contre-pied absolu de l'esprit de l'original (à la manière d'un Alien) m'avaient après-coup fait douter du plaisir en son temps éprouvé, m'inclinant à jeter toute la saga dans le même sac à dos de barbouze, troué et odorant.


Ensuite parce que (souvenir vivace) l'été suivant la sortie du film, Rambo avait été encensé par mes cousins fachos, bestioles vénéneuses que je croisais une fois de loin en loin, quand les sentiers hasardeux de vacances paternelles me faisaient vivre de si souvent singulières expériences. C'étaient ces mêmes cousins, plus vieux que moi et avec qui je n'étais jamais à l'aise, qui me faisaient rire maladroitement à leurs vaseuses blagues racistes, et qui avaient plein de mots curieux à la bouche, parlaient d'auteurs qui m'étaient totalement inconnus et utilisaient des acronymes bizarres (FAF, GUD, OAS). Ils révéraient dieu, les ex-colonies et collectionnaient des vestiges de l'armée française. A leur décharge, faut avouer que c'étaient plutôt des beaux gosses assez sympas. Des types entreprenants et volontaires, blondinets et souriants, dont il était difficile phonétiquement d'estimer qu'il s'agissait de bons aryens. Le genre de mecs qui sacralisaient Apocalypse Now non pour les dérives que le film décrivait mais précisément pour les excès qu'il mettait en scène. Leur héros du chef-d’œuvre de Coppola, c'était le capitaine qui prenait son pied avec les odeurs de napalm le matin. Ces âmes noircies avaient perfidement essayé de capitaliser sur mon affection soudaine pour les soldats égarés et rebelles (pas étonnant qu'ils n'aient pas totalement saisi le sens profond du métrage) en me glissant des lectures un peu sulfureuses sous les yeux, espérant sans doute faire revenir à la raison le jeune mouton égaré que je représentais, un mouton aux poils longs et aux colliers ou bracelets peu seyants de hard-rockeurs boutonneux.
(au fond, j'étais Rambo. Enfin, pour la dégaine et le côté à la marge. Parce que pour le reste, je n'avais pas la moindre idée de comment s'y prendre pour balancer une tatane dans la gueule de quelqu'un, et ma musculature était encore assez proche de celle d'une brebis sortant de l'orifice fumant de sa génitrice venant de mettre bas).


(leur) Dieu merci, ce fut peine perdue.


Tout ceci n'aurait sans doute pas suffit à me donner envie de redonner une chance à ce First Blood initial, si je n'avais entretemps vu un des films les plus marquants de ma vie de cinévore, dont le souvenir ne cesse de grandir depuis que je l'ai vu: Wake in fright. Il n'est pas sorcier de trouver des correspondances entre les deux œuvres. Si Kotcheff a dans les deux cas mis en scène un marginal (au sens large. L'original. L'homme qui ne trouve pas sa place dans la communauté), il explore avec ce diptyque (dont les deux volets sont séparés de 11 ans) les deux façon de faire face à une majorité envahissante. Soit en s'y confortant en collant ainsi à l'adage de Dupontel dans 9 mois ferme ("A un moment, pour échapper aux autres, il faut faire comme les autres"), ce qui est le cas de John Grant dans son réveil dans le terreur, soit en s'y confrontant, comme le fait ici John Rambo, un peu poussé, il est vrai, par les évènements et son incapacité à s'adapter.


Si on ne devait se tenir qu'au simple aspect actioner du film (et mettre de côté sa lecture sociale de la place des soldats revenus du feu dans une Amérique tournée vers des années 80 voraces et frénétiques) celui-ci ne manque pas d'intérêt. Son déroulé prend si parfaitement le contre-pied de tant de films qui arpentent les mêmes ravins escarpés (le thème du guerrier solitaire) que celui-ci pourrait se suffire à lui-même de ce point de vue. Une fois sa place trouvée sur les coteaux boisés de la Colombie Britannique, Rambo se déploie hors des sentiers battus du film d'action.
Nous ne verrons presque aucun des préparatifs des pièges tendus par le spécialiste de la survie, mais les découvrirons en action.
Ce même soldat ne tue aucun de ses adversaires. Le seul mort avéré est la conséquence indirecte d'un acte de légitime défense (les autres potentielles victimes, occupants d'une voiture engagée dans une course-poursuite un poil suicidaire, ne passent pas de vie à trépas de manière explicite. Rien n'interdit formellement de penser qu'ils aient pu s'en sortir).
Une fois la première leçon donnée (tous les participants de la chasse à l'homme rendus inopérants) le héros, qui n'a définitivement plus sa place nulle part, n'attend pas une nouvelle provocation pour poursuivre son action devenue personnelle, et inverse la zone de combat pour montrer à son nouvel ennemi intime que quelque soit le terrain de jeu, il peut s'en rendre maître. Le tout, encore une fois, sans victime collatérale, si ce ne sont les réserves monétaires de quelques compagnies d'assurance.


Autant d'orientation singulières qui démarque ce film de ses petits camarades, et dont on a trop souvent résumé les enjeux avec la même légèreté que quand on évoque le Born in the U.S.A. de Springsteen, en estimant qu'il s'agit d'un hymne simple aux valeurs droitières du lieu et du temps.


Un dernier mot, sur la scène finale qui m'avait laissé à l'époque un souvenir un peu embarrassant (proche de l'Adrienne de l'autre inoubliable héros Stallonesque). Il va sans dire que la version originale rend une certaine justice aux fugaces mais réelle capacité de l'étalon d'origine italienne à jouer autre chose que des muscles. Le fait de le voir mentionné en tant que collaborateur au script n'a d'ailleurs pas manqué de me plonger dans des abîmes de perplexité.
Une chose, cependant, me turlupine. J'avais le souvenir précis et vivace d'un Rambo commandant un hamburger en incitant sur la présence d'oignons dans son sandwich. Quelqu'un peut-il me dire si ce détail ridicule mais néanmoins indélébile est présent dans une des suites du film ? Je ne vous cache pas que l'idée de me (re)farcir les suites du truc est totalement au dessus de mes forces.

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le 11 mai 2016

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guyness

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