Dans "Rashomon", le film qui a fait connaître Kurosawa en Occident (et par lequel j'ai moi-même, accessoirement, découvert le grand maître japonais), le brio intellectuel de la construction de trois récits contradictoires pour une même histoire (technique souvent imitée ces dernières années, mais pas encore égalée) n'étouffe jamais la profondeur morale, voire philosophique du propos, typique de l'humanisme pessimiste de Kurosawa : la nature humaine est complexe, faite de contradictions, et chacun détient sa vérité qu'il considère comme seule valable... Le réalisateur se garde de tout jugement de valeur et n'énonce pas des vérités (on ne saura jamais comment s'est réellement passée la scène...). L'habituelle maîtrise technique de Kurosawa (certains plans sont des monuments de cinéma, et le montage, effectué par le réalisateur lui-même, possède un rythme rarement atteint) vient couronner le triomphe d'un film en tous points exemplaire. [Critique écrite en 1990]