Histoire de certitudes envolées.
Dimanche 3 Octobre 2013, 17h37
Je viens de passer plus de 4h dans un univers fou, un univers unique. L'univers du Japon médiéval, celui vu par le maître, le cinéaste le plus reconnu internationalement par le public et surtout par toute la profession, Akira Kurosawa.
Les Sept Samouraïs et Rashomon ont garni cette après-midi où j'ai pu m'envolé, porté par ces images d'une beauté à couper le souffle et porté par ces histoires d'une grandeur et d'une profondeur incroyable. Oui, cette après-midi, j'ai voyagé.
Et putain qu'est ce que c'était bon !
Si j'ai choisi de faire ma critique sur Rashomon, plus que sur Les Sept Samouraïs, c'est tout simplement par préférence parce que, bien que les deux soient exceptionnels, j'ai un petit faible pour celui ci.
Rashomon c'est l'histoire d'un bonze et d'un bucheron qui reviennent d'un procès pour meurtre au cours duquel ils viennent de témoigner. Un Homme se serait fait tuer par un bandit sous les yeux de sa femme. Ils s'abritent de l'orage sous la porte de Rashomon. Un troisième larron vient les rejoindre, et voyant leur incompréhension, leur demande de lui raconter les faits.
Kurosawa va tirer de son récit, pourtant très simple à la base, un film d'une puissance émotionnelle et humaine impressionnante. Il va baser sa réussite sur deux facteurs qui me semblent être les plus importants. La trame narrative très originale, aidée par le soin sur l'écriture, et l'interprétation de Toshiro Mifune, plus qu'un acteur, une gueule inoubliable et un jeu fabuleux.
Mifune joue un bandit qui va être le déclencheur de l’événement tragique. Et dès ses premières minutes à l'écran, on ne voit que lui. Il est assis, attaché, et regarde vers le ciel. Et quand il ouvre la bouche, son rire perce le silence ambiant et la folie fait sa première apparition dans le film. Ce sera un pivot, cette folie, qui va marquer Rashomon de son empreinte. Car si l'on part avec un sentiment de confiance au début du film, tout part en éclat au fur et à mesure de l'avancée du film, tant et si bien qu'on a du mal à faire confiance à qui que ce soit à la fin. Et j'en arrive donc à la deuxième grande force du film, son écriture.
Kurosawa a coécrit le scénario avec Shinobu Hashimoto, première de leurs nombreuses collaborations. Et cette histoire si simple va se transformer en plaidoyer contre l'humain. Kurosawa semble avoir perdu foi en l'humanité et le fait savoir. Le meurtre est raconté de 4 points de vue différents : le bandit, la femme, le mari décédé (oui vous avez bien lu !) et enfin le bûcheron. Et chacun sort une version différente. Le mensonge est omniprésent, l'humain est totalement discrédité et perd totalement sa valeur. Il n'est plus rien qu'un opportuniste, un voleur qui ne sert que ses propres intérêts. Et pour nous spectateur, tout humain que nous sommes, se retrouver face à cette vision si pessimiste de notre propre nature, c'est franchement inconfortable. Et c'est mis en scène avec une telle précision que l'on ne peut que croire ce qu'il y a l'écran.
La mise en scène est un aspect important dans le cinéma d'Akira Kurosawa. Je l'ai trouvé moins puissante que sur les 7 Samouraïs, où elle est vraiment l'âme du film. Ici elle reste vraiment très inventive et surtout très belle, avec ces images ensoleillées filtrées par les branchages de la forêt. Mais elle reste en retrait par rapport au reste. On notera quand même quelques plans d'une symbolique puissante, marque de fabrique du réalisateur japonais. C'est dans ces moments qu'on se rappelle qu'avant d'être cinéaste, Kurosawa était peintre. Ca se ressent dans son oeuvre, notamment dans Les 7 Samouraïs, où chaque plan est composé avec une précision et une beauté irréelles. Mais revenons à Rashomon.
Il est aisé de constater l'influence de Kurosawa sur bons nombres de grands cinéastes contemporains qui, d'ailleurs, ne s'en cachent pas. L'exemple le plus marquant me semble être Francis Ford Coppola, tant j'ai vu énormément d'Apocalypse Now dans Rashomon. Cet affrontement constant entre l'humain de surface et son fort intérieur qu'il essaye de cacher, cette part de folie que l'on a tous en nous et qui est omniprésente dans les deux films. D'ailleurs je trouve le meurtre du mari par le bandit, très similaire à l'affrontement final entre Kurtz et Willard dans Apocalypse Now. Les deux séquences transpirent la folie et nous mettent dans une position très peu enviable.
Rashomon est une oeuvre majeure pour le cinéma de Kurosawa , puisque c'est le film qui l'aura fait connaître, lui et le cinéma japonais, au monde entier. Un Lion d'Or à Venise, un Oscar du meilleur film étranger, ce film nous met face à une version obscure de notre nous intérieur. Un être dénoué de sentiment, uniquement motivé par l'appât du gain et guidé par sa folie. Voilà l'être humain contemporain nous dit Kurosawa. Certes c'est une vision très pessimiste des choses, mais au fond, est ce qu'il s'en éloigne de beaucoup ? Je n'en suis pas si sûr.
A Fuckin' Masterpierce !
(copyright Babaorum)