Qui est sincère de nos jour ? On croit seulement l'être. On préfère oublier ce qui ne nous convient pas.
Rashōmon est un film limité.
Limité dans sa construction narrative. Trois hommes s'abritent sous les ruines de la porte Rashōmon pour se protéger d'une pluie torrentielle. Au fil des discussions, ils évoquent un procès auquel deux d'entre eux, un bûcheron et un bonze ont participé. Une affaire de meurtre qui impliquerait un célèbre bandit, Tajomaru, accusé d'avoir tué un samouraï pour obtenir les faveurs de femme. De manière très analytique, nous assistons à quatre versions des faits. Quatre histoires contradictoires qui apportent un nouvel éclairage sur l'affaire. Quatre pièces d'un puzzle inextricable.
Hélas, si on ne peut plus croire personne, ce monde est un enfer !
Limité dans son terrain de jeu. Avec une grande maîtrise et une grande attention du détail, Kurosawa parvient à nous immerger sensoriellement dans la forêt luxuriante qui compose la scène du crime. Nous sentons la lumière qui traverse la cime des arbres et qui fouette les visage. Nous sentons la chaleur étouffante et la sueur qui suinte. Libre dans cet espace restreint, la caméra évolue toujours au plus près de l'action avec une fluidité admirable. Lors des scènes du jugement, le cadre est centré sur les personnages. Ils nous interpellent directement. Ils tentent tour à tour de nous convaincre; de se convaincre.
Limité en dialogues. Le jeu des acteurs est à la fois mutique et très expressif. Leurs langages corporels sont particulièrement bien ciselés. Les masses humaines virevoltent avec grâce, s'immobilisent avec force, se confrontent avec vivacité ou s'évitent avec frilosité. Mention spéciale pour Toshirō Mifune qui campe parfaitement le malfrat arrogant. La musique apporte également une seconde lecture aux événements. Elle ne se contente pas de cadencer le rythme général, elle marque les surprises des situations et les émotions ressenties.
Limité en éclaircissement. Kurosawa parvient à souligner les contradictions des quatre récits sans jamais parvenir à faire totalement tomber les masques. Le film se détourne de son questionnement initial pour laisser émerger un portrait de la nature humaine. Hypocrisie. Mensonge. Égocentrisme. Fierté. Si le film s'achève sur une note positive, elle ne fait que légèrement amoindrir cette vision pessimiste de l'Homme.
On dit que l'infamie des hommes a fait fuir le démon de Rashōmon.
C'est certainement le film le mieux maîtrisé de Kurosawa que j'ai eu l'occasion de voir. Son accessibilité et sa lisibilité en font un conte résolument moderne et universel.