Qu'est-ce qui a déplu aux autorités soviétiques pour avoir posé des problèmes quant à la sortie de ce film ?


Peut-être parce que c'est un opéra de bruit et de fureur, sans faux-semblants, cru, violent, cauchemardesque, où le réalisme le plus clinique se confond avec la fantasmagorie la plus troublante. La narration est certes chaotique, parce que ce qui est raconté l'est aussi, mais toujours en ne perdant jamais de vue la consistance des personnages, ni l'angle d'approche qui est celui de faire le portrait d'une époque. Celui d'une époque décadente, dégénérée, débauchée, sombre, crépusculaire, d'une Russie tsariste qui vivait ses derniers instants, où ceux qui faisaient partie des hauteurs, bien loin, ou qui se voulait bien loin, d'une population en souffrance, pataugeaient, comme des porcs dans la boue, dans leur faste et dans leurs privilèges.


Peut-être aussi le portrait d'un Nicolas II (Anatoli Romachine, vraiment excellent !), qui n'est pas présenté en tyran bavant le sang et se masturbant rien qu'à la pensée des victimes de son règne, mais en homme isolé, faible, dépressif, au bord de la crise de nerf, complètement dépassé par des événements dont il veut fuir la réalité, facilement écrasé par ses ministres, par sa famille, par tout le monde, portant un costume qui est beaucoup trop grand pour lui, un être humain trop ordinaire face à des situations trop extraordinaires. La scène où il quitte une séance ministérielle, désespéré, traverse un couloir secret pour directement accéder à ses appartements personnels, pour y être, finalement, au contact de ses proches (ou plutôt au non-contact !) autant désespéré, est très révélatrice (au passage, les décors sont aussi fabuleux de créativité que de réalisme, toute la reconstitution est vraiment du grand art !).


Peut-être un Raspoutine (interprété par un magistral Alexeï Petrenko, à fond dans son personnage !), complètement déchaîné, avec des éclairs de folie incontrôlés et terrifiants, cynique, manipulateur, libidineux, mais en même temps capable d'un profond mysticisme, présenté comme le symbole d'une période de profonde putréfaction, possédé entouré d'autres possédés encore plus inquiétants que lui. Paradoxalement, celui grâce à qui ce très fragile régime ne s’effondre pas encore. Ses assassins n'avaient pas compris qu'en le tuant, ils ne sauvaient pas un régime agonisant. Au contraire, ils achevaient de l'anéantir complètement.


Elem Klimov n'était pas du genre à faire des concessions. La toute fin suggère certes des lendemains rayonnants avec la Révolution de 1917, pas le passage de la puanteur suffocante d'un cadavre en décomposition au plus horrible des enfers. Mais le spectateur n'est pas dupe, le cinéaste non plus. D'ailleurs, certaines visions cauchemardesques du film rappellent plus l'horreur soviétique que l'inconséquence du régime tsariste (on a même des images d'archives d'une église en train d'être détruite... qui datent de la dictature stalinienne !). Peut-être encore une chose que les autorités soviétiques ont encore perçue, qui sait.


En résumé, Raspoutine, l'agonie est une oeuvre aussi remarquable que dérangeante, aussi perturbante que fascinante.

Plume231
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le 6 janv. 2020

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