S’immerger dans de nouveaux territoires, explorer de nouveaux horizons, regarder au loin l’ouverture vers un autre niveau qui n’est qu’un autre mirage et aboutit à une autre découverte. Un rêve nébuleux dans lequel on aime se perdre, errer où le jeu, essentiel à la survie, est à la fois partout et nulle part ailleurs. Steven Spielberg a toujours été fort de propositions en terme d’immersion dans des mondes imaginaires, un des pionniers de la culture qui se diffuse et se commercialise en masse et à grande échelle, faisant des figures de fictions qui la parsèment de véritables icônes. Or, ce qui surgit de Ready Player One en sont les vestiges, animés, réanimés, détruits puis remontés comme un amas de lego pixélisés disposés ça et là sur une surface de jeu virtuelle gigantesque, le bien nommé OASIS.
Ce monde parallèle s’étend à différentes expériences vidéo ludiques pour la multiplicité d’avatars qui y transitent. L’on suit le parcours de Wade (Tye Sheridan dont la ressemblance avec Spielberg à ses débuts est troublante), adolescent orphelin, ancré dans un réel ordinaire post-apocalyptique qui tombe en ruine, qui se réfugie dans l’insatiable et confortable richesse qu’offre ce nouveau terrain de jeu. Wade revêt alors son armure virtuelle et devient Parzival, avatar chevaleresque modelable, configurable à souhait, qui interagit avec les figures et dans les espaces qui recomposent une sorte de réenchantement factice (notamment celui des années 1980). D’abord autonome et indépendant, apolitique et n’appartenant à aucun clan, Wade/Parzival n’est que le fruit d’un défi ultime que lance le créateur de cet univers, James Halliday (l’acteur fétiche Mark Rylance dont l’avatar représente une sorte de Saint-Pierre version Héroïc Fantasy), qui avant sa mort aura pris le temps de cacher trois clés dans l’étendue numérique que représente l’OASIS. Le vainqueur remportera une somme d’argent astronomique et deviendra le nouveau maître de cet univers parallèle.
Cette course aux easter eggs engage une profusion de joueurs et de joueuses aux profils atypiques. L’antagonisme se trouve dans la force autoritaire, policière, en somme cet obstacle que représente la firme capitaliste IOI tenu par la figure de l’investisseur inculte, dépourvu d’imagination (son avatar est une version bodybuildée en costard-cravate du modèle réel) et qui veut soumettre cette communauté qu’il a toujours méprisé à sa seule volonté. Un schéma narratif manichéen qui vient surtout questionner la dimension role player des personnages, une mise en abîme rendue possible uniquement par la notion de jeu. La réalité virtuelle et ses fonctionnalités se dévoilent à mesure qu’elles se problématisent. L’OASIS est une plateforme, une assise de jeu adaptative dans laquelle on entre et on sort à l’envie, sectorisant l’espace en fonction des besoins. Elle est tout autant une expérience de partage qu’un lieu intime de retrouvaille. Le film baigne dans une esthétique vidéoludique composite, éclatée, fragmentée par l’hybridation surlignée des figures culturelles passées qui, par son traitement outrancier, forme une belle chorégraphie de réminiscences iconographiques. Ready Player One pourrait se résumer en plusieurs danses. D’abord celle chorégraphiée par les nouvelles icônes que deviennent peu à peu Parzival et Art3mis, qui franchissent le pas (et tisse ainsi une belle passerelle avec Indiana Jones et la Dernière Croisade et la fameuse séquence du gouffre de croyance). Ils se jettent dans un bassin d’adrénaline où les sensations sont décuplées par la sensualité du contact de la danse d’Art3mis. Le couple lévite littéralement dans ce gouffre monochromatique bleu irradiant les corps. Cette séquence érotique et voluptueuse de la danse rythmée par les sonorités intemporelles des Bee Gees renvoie à celle, plus fantasmagorique, où des fantômes « nagent » dans la salle du bal de l’Hôtel Overlook. Spielberg récupère et prolonge les images kubrickiennes avec une amusante radicalité dans la figuration.
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