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Ready Player One pouvait rebuter : retour de Spielberg à la réalisation en forme d'hommage à son travail titanesque de metteur en scène, film uniquement basé sur le principe d'easter-eggs, effets spéciaux numériques à gogo, acteurs peu charismatiques et personnalité visuelle des plus banales, type jeu-vidéo sans personnalité (soit bleu et violet). Sur le papier, ce n'était pas très réjouissant; comme l'idée de voir notre papy se l'astiquer sur les figures emblématiques qu'il aura apportées au cinéma, et les réciter sans vergogne pour montrer qu'au final, il reste le premier, et le seul patron du cinéma de divertissement (non pas des produits formatés, Disney).


Il y a un peu de cela dans Ready Player One : s'il se cite deux trois fois avec plus ou moins d'insistance (Jurassic Park certes discret, mais Retour vers le futur balancé à la truelle), il réunit tout ce qui a marqué la culture geek (à certaines exceptions prêt) dans un genre de melting-pot savoureux, auquel il appose sa recette de rêverie dont il est le seul à détenir le secret. Comme Hitchcock en son temps avec les thrillers, Spielberg prouve une bonne fois pour toute qu'il est et restera le patron jusqu'à nouvel ordre.


Nous recyclant ces mêmes gimmicks qui marchent depuis plus de 40 ans, il aborde l'histoire avec toujours autant de légèreté, et quand il tente d'inverser la règle, ce n'est guère crédible; comment s'émouvoir de la famille de substitution de Tye Sheridan quand ils sont caractérisés à la manière d'un cartoon, dans l'exagération et la caricature? Ils sont plus sombres que dans un dessin animé pour gosse, plus pathétiques, plus décadents, mais le résultat est le même et le fait est lancé : Spielberg n'a pas fait Ready Player One pour ceux qui voulaient en dénombrer les références, il l'a mit au point pour ceux qui veulent rêver, pour les adultes désireux de retrouver l'enfance, et pour ces enfants qui manquent de blockbusters sur lesquels s'émerveiller.


C'est qu'il s'en sort très bien, ce vétéran du divertissement, en réalisant le film le plus couteux de sa carrière et le plus ambitieux en terme de grand spectacle; ses effets spéciaux sont globalement très bons, sa photographie propre fait son travail, et même si le tout manque de personnalité (le travail de Spielberg n'en a jamais été énormément doté), cela sert au final la narration : le réalisateur s'effaçant derrière son film, il peut aborder le sujet et ses thèmes avec une liberté renouvelée.


Ainsi, Ready Player One songera à l'évolution de notre culture contemporaine après son passage et l'instauration de nouvelles icônes, devenues les prophètes de la religion dictatoriale de ce 21ème siècle : le blockbuster pétaradant d'origine américaine, duquel on voit un peu toutes ses légendes, des personnages de cinéma, du jeu-vidéo à ceux des comics et des animés/dessins animés. C'est un pan de notre culture qui est brassée, et si l'on croit au départ que Spielberg critique l'incroyable démultiplication des personnages célèbres, l'arrivée d'un certain antagoniste, nommé pour le coup "Nolan" Sorrento, propulsera l'intrigue vers une autre critique, plus actuelle et pertinente encore.


Ready Player One semblerait s'attaquer, en fait, à la surcodification des oeuvres de divertissement américaines; les héros, tous déguisés différemment, donc démontrant leur individualité et la personnalité qu'ils apportent au groupe (en plus de leurs pouvoirs), s'opposent à l'ordre dominant, donc établi par Nolan; ses soldats, complètement noyés dans le groupe, ont l'aspect de machines identiques entre elles qui sont seulement différenciées par des numéros arbitraires.


Ne pourrait-on pas y voir un rapprochement avec le conformisme que Nolan aura apporté, avec sa trilogie Dark Knight, aux films de super-héros, voir plus largement aux blockbusters? Parce qu'entre ses images bleutées et sa mise en scène qui manque de personnalité, on serait presque tenté de dire qu'entre Marvel/Disney et lui, il existe un lien de cause à effet; n'aurait-il pas, d'une certaine manière, entraîné le film de divertissement de masse vers sa standardisation, vers une uniformisation cancérogène?


Le spectateur se fera sa propre interprétation des pistes amenées, s'il passe outre la romance idiote et terriblement stéréotypée; mais comment reprocher à Spielberg de nous conter une histoire légère et manichéenne, quand il nous a enfin livré son regard et son avis sur une culture contemporaine qu'il a aidé à fonder? D'autant plus que Ready Player One parvient à divertir, et s'il est un comble qu'il manque de personnalité quand il critique le conformisme de ses concurrents, on pourra tout de même y voir une sorte de madeleine de Proust à celui qui aura grandi avec la culture 80's-90's. A voir et à interpréter.


Un bonheur imparfait, pour un Spielberg excellant à faire du Spielberg.

Créée

le 30 avr. 2019

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FloBerne

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