Si la qualité de ce film devait se mesurer à la fidélité de son adaptation du roman d’Ernest Cline, il faut reconnaître qu’il serait excellent. Il transpose parfaitement à l’écran les fantasmes des adolescents des années 80, actualisés à l’ère d’Internet. Les héros vivent leurs aventures dans le monde virtuel de l’Oasis, avec des équipements VR, dans des jeux vidéos de dernière génération, avec des avatars d’une variété infinie. Et en même temps, ils sont fans des films pour ados des années 80, ils sont incollables sur les bornes d’arcade, et connaissent par cœur toutes les chansons pop imaginables de l’époque. Ça ne se limite pas aux (très très) nombreux clins d’œil en arrière-plan (ici un lecteur de disquettes C64, là un poster de Rush, oh Musclor qui passe là-bas, etc…, il doit y en avoir des centaines). Ces références constituent le cœur de l’intrigue, la trame narrative entière et l’ensemble du film jusqu’à la bande son. Exactement comme dans le roman.
On peut dès lors se demander à qui s’adresse ce film. Existe-t-il aujourd’hui des adolescents passionnés par les jeux Atari, Rush et les Monty Pythons ? On peut raisonnablement en douter. Les jeunes les plus geeks aujourd’hui jouent à GTA VI sur PS5, regardent The Witcher sur Netflix et vont voir Taylor Swift en concert. La plupart d’entre eux n’ont jamais entendu Duran Duran, ne savent pas qui est Marty McFly, et n’ont aucun idée de comment on joue à Simon (si vous avez des ados qui vous ont dit le contraire, c’était pour être sympas et ne pas vous vexer).
Ready Player One est un film pour les geeks des années 80 qui veulent retrouver le monde de leur adolescence. Ça tombe bien, c’est une partie du fond de commerce de Steven Spielberg. Alors on y va à fond, comme à la grande époque : les acteurs sont atroces, les personnages sont caricaturaux et sans relief, l’intrigue est sans surprise et pleine de trous, et comme toujours avec les films « enfantins » de Spielberg, les adultes sont tous méchants, idiots ou absents. Le film réussit même à être plus aseptisé que le roman, puisque les deux ados assassinés dans le livre survivent ici joyeusement en lâchant des vannes navrantes jusqu’à l’avant-dernière scène. Du coup, le méchant est à peu près aussi terrifiant que le proviseur de Breakfast Club, mais on suppose que c’est bien le but recherché. Happy end, l’ado sauve le monde et surtout embrasse une fille qui devient sa copine, et ça dégouline de bons sentiments et de leçons de morale à deux balles.
Bien sûr, Spielberg a du talent et du savoir-faire, et l’expérience n’est pas totalement insupportable. Il y a quelques moments drôles au premier degré, quelques clins d’œil amusants, une bande son pas dégueulasse, et les séquences d’animation dans l’Oasis sont plutôt bien foutues. On a même droit à quelques rares moments d’un aperçu de ce que le film aurait pu être : un hommage sans prétention, qui ne se prend pas trop au sérieux mais qui joue avec les codes de son sujet en s’en moquant gentiment, comme une espèce de croisement entre Last Action Hero et Stranger Things. Avec évidemment un caméo de Matthew Broderick. Mais pour ça, il aurait fallu un peu de distance, de second degré, d’autodérision. Ça manque beaucoup, le film comme le roman étant terriblement premier degré. Peut-être qu’Alexandre Astier n’a pas tout à fait tort quand il dit que les geeks sont des gens qui prennent la pop culture très au sérieux… Peut-être même un peu trop ?
https://olidupsite.wordpress.com/2023/12/13/film-ready-player-one-steven-spielberg/