L'amour monstre... - A propos de Real, de Kurosawa.
Real est le dernier film du Japonais Kiyoshi Kurosawa après l’acclamé Shokuzai l’an passé ou le magnifique Tokyo Sonata (2008), se plaçant dans la continuité d’une œuvre entamée il y a 30 ans, hantée par une certaine idée du fantastique, et dressant le portrait poétique et sombre d’une certaine réalité. Koichi et Atsumi s’aiment d’un amour pur, flottant, magique. Il est professeur de gym, elle est dévouée à son art, le Manga. Mais l’euphorie dure peu et le réel reprend vite le dessus, bouscule la douce illusion, par l’intermédiaire d’une sublime métaphore (les feuilles qui s’envolent par la fenêtre au souffle du vent. On quitte alors l’univers protecteur de l’appartement pour un dehors plus incertain, inquiétant, le tout sur la musique à présent plus grave de Kei Haneoka) : Atsumi plonge dans un profond coma et seule la technologie futuriste va leur permettre de communiquer entre eux. Mais le réel n’est pas forcément là où on l’attend… Je dois tout d’abord avouer combien il m’est difficile d’aborder un objet filmique aussi dense, multiple, intense, profond et universel. Comment exprimer la justesse et la beauté du propos de Kurosawa lorsqu’il emploie l’expression « Zombie philosophique », et comment ne pas songer au dernier chef-d’œuvre de J. Jarmusch, Only Lovers Left Alive, où les zombies ne sont rien de plus que nous autres, pauvres humains égarés dont la conduite est déplorée par les deux vampires-dandys néoromantiques ? Nous sommes les zombies dans un monde en mutation et les témoins silencieux de notre propre destruction. Il plane sur Real les fantômes d’Hiroshima, Nagasaki (et la destruction de Tokyo, ville fantasmée mais omniprésente), Fukushima. Les fantômes qui hantent le film sont aussi ceux des grands maîtres Japonais que sont Y. Ozu, Mizogushi, (Mais on peut aussi penser à Alain Resnais...) ou Miyazaki, dont le dernier film, Le Vent se lève, citait si bien ces vers de P. Valéry : « Le Vent se lève, il faut tenter de vivre ! ». Ici, il est question de mort, mais aussi et surtout de vie (« L’amour plus fort que la mort » ? L’amour de personnages regardés avec une bienveillance rare et si bienvenue en ces temps de cynisme et de sarcasmes).
On peut étendre cette réflexion au cinéma lui-même, à son avenir, à sa mort par certains annoncée. Mais ici, la mort finit toujours par être vaincue, le monstre est battu et la vie reprend le dessus.
Il n’est pas inutile de souligner que l’auteur a débuté sa carrière par des films de série B, et sa cinéphilie s’est d’abord construite autour de productions Japonaises et Américaines, de genre, d’action.
Et cela s’en ressent dans le présent film, car les monstres et autres fantômes y sont bien présents, et l’on ne peut d’ailleurs que saluer la puissance des scènes finales.
Ces êtres surnaturels viennent s’inscrire dans une longue tradition du cinéma Japonais (Godzilla).
Car Real est à l’image de la société Nippone, entre traditions millénaires (religion animiste, omniprésence des « esprits ») et modernité absolue. A la fois science-fiction et fable intemporelle. A travers le prisme de l’irréalité, K. Kurosawa dresse un portrait de la société Japonaise actuelle, l’interroge, et s’empare également d’une des formes d’art les plus populaires au Japon mais aussi dans le reste du monde, le Manga.
Et n’est-ce pas là l’essence même de l’art cinématographique, comme le soulignait si bien Cocteau : « Le privilège du cinématographe, c’est qu’il [nous permet] de nous montrer, […] avec la rigueur du réalisme, les phantasmes de l’irréalité. C’est un admirable véhicule de poésie » ?
Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, je peux et dois dire que K. Kurosawa est un des plus grands cinéastes de notre temps !