L'inattendu, au cinéma, est souvent un plaisir. En évitant de se soucier des cases dans lesquelles ses films voudront bien rentrer, Quentin Dupieux bâtit depuis Steak une chose qui manque cruellement au cinéma français : un univers. Certes, nombre de ses travaux battent pavillon américain, et même Steak situait son intrigue dans un univers franglais jouissivement impossible à identifier.
L'irruption du bizarre dans un décorum souvent calme, pour ne pas dire statique, en décuple l'effet comique. Chez Dupieux, le procédé est devenu un trade-mark, dans le bon sens du terme. Ici, elle se double d'un regard sur l'industrie du 7e Art. En cela, le titre est un indice presque trop gros, Réalité étant le nom d'un des protagonistes centraux.
À la perte de repères qui parcourt le récit, il suffirait donc de s'accrocher au regard d'une fillette pour recoller les morceaux d'un script que l'on imagine très simple avant "déconstruction". Si tant est que Dupieux ait procédé de la sorte, mais au fond, la question reste la même : la mise en abîme labyrinthique de Réalité a-t-elle un véritable écho sur le long terme ?
La réalité est le monde qui nous entoure. Le réel, ce que nous en percevons grâce à nos sens. Explorant cet entre-deux, le long-métrage abat trop vite ses cartes. L'idée de réalités se répondant par échos mène à des gags efficaces mais dénués de la spontanéité qui parcourait l'excellent Wrong. La faute à un contexte lui-même propice aux dérapages, portrait d'un wannabe cinéaste à la recherche du gémissement parfait !
Honnêtement, Réalité comprend un bon nombre d'images marquantes, d'un Chabat collé à son siège lors d'une étrange cérémonie à un sanglier dont une cassette vidéo émerge des abats vidés par un chasseur. Ici, chaque personnage pourrait bien rêver les autres. Pourtant, vu la bizarrerie ambiante, on penchera pour l'hypothèse d'une peluche démiurge qui, abandonnée sur une balançoire, se sera imaginé ces histoires folles dans un désordre nécessaire.
Agréable à suivre, Réalité peine à densifier son script poupées russes. D'où l'impression d'un rêve à demi éveillé qui file droit vers sa prochaine idée loufoque au détriment de l'impact global du projet. La fraîcheur, la liberté que l'on aime tant chez Dupieux sont encore là mais elles commencent un peu à lasser, Réalité reprenant le principe de film dans le film du déjà répétitif Rubber.
Dans cette production de 2010, des personnages commentaient les agissements d'un pneu télépathe alors qu'ils se trouvaient eux-mêmes dans une situation improbable. S'il aborde ouvertement le monde du cinéma, Réalité réussit avant tout à ne pas sombrer dans la caricature facile ; voir l'hilarant producteur qu'il présente à la fois soucieux du budget et confiant envers ses artistes.
On serait tenté de voir dans Réalité un autoportrait un peu boursouflé de Dupieux mais ce serait lui faire un faux procès, l'homme avouant volontiers son envie de continuer à faire des films surprenants...et bêtes ! Reste à espérer qu'il ne fasse pas stagner davantage son style si identifiable. Après tout, rien de plus triste qu'une forme de liberté repliée sur elle-même.
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