Reality a le mérite de poser des questions pertinentes sur l'état de la société italienne contemporaine (et plus largement, globalisation oblige, de la société occidentale, si ce n'est plus) à travers l’histoire d'un humble napolitain, Luciano, poissonnier de profession, entouré de sa folklorique et pittoresque famille. Parmi cette ambiance populaire et ce Naples aux allures de ruines antiques se cristallisent nombre des maux actuels: décadence, pertes des valeurs, société du paraître, fuite de la réalité, refuge dans un monde idéal, égoïsme, paranoïa, … le tout rassemblé par le cinéaste Garrone dans un symptomatique symbole de notre temps: la télé-réalité (i reality en italien, d'où le titre du film), plus précisément l'émission au succès international, et la première du genre, Big Brother (il gran fratello).
Le titre de cette émission renvoie d'abord à la Bible («suis-je le gardien de mon frère?» répondit Caïn à l’Éternel, ce dernier étant le vrai représentant du regard supérieur qui contrôle et surveille) mais aussi au personnage du livre de G. Orwell, 1984. Et l'on retrouve dans reality ses deux composantes mêlées par Garrone, d'un côté par le personnage de Luciano, poissonnier multipliant les aliments quand il croit être l'élu, et les références au Dieu omniscient; de l'autre côté par l'aveugle et dévote foi de Luciano (et de tout un peuple derrière) accordée à ce type de shows télévisés.
Toutefois, ce mélange des points de vue ne contribue pas à la clarté du message de Garrone. Bien sûr, il regarde de haut tout cela (comme le prouve le recours fréquent aux prises en altitude en hélicoptère et les plans panoramiques), d'une manière presque trop hautaine d'ailleurs puisqu'il a une attitude condescendante envers ses personnages qu'il égratigne gaiement sans vraiment apporter de nuances; néanmoins, à mélanger indistinctement le religieux et le spectaculaire (on voit bien qu'il veut faire de la télévision le nouvel objet de culte), le social et le psychologique, le rire (assez rare d'ailleurs) et de drame intime, il s'embrouille, devient confus, perd son unité de discours. De plus, son parti pris cinématographique (que l'on retrouve aussi dans son précédent Gomorra) de filmer souvent caméra à l'épaule son protagoniste qu'il filme presque toujours en gros plan, comme s'il s'agissait d'un documentaire d'investigation, lasse vite, donnant presque la nausée, et ne dessert aucune finalité significative. Enfin, vendre ce film comme la nouvelle comédie à l'italienne, héritée de Fellini et consorts, nous semble bien mensonger, car il ne suffit pas de réunir une galerie de personnages grotesques, une musique féerique, quelques travellings en hauteur et une vision baroque pour faire comme ces maîtres: au contraire, cela devient une pâle copie, une fausse représentation de la vraie représentation.