Les fantômes rouges
Red Amnesia est un film magnifique sur la mémoire et l'oubli, sur l'oubli impossible et la mémoire qui taraude, sur la culpabilité qui peut aller jusqu'à précipiter et donner corps et vie à des...
le 31 mai 2016
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C’est facile l’oubli. Il suffit de laisser le temps faire son œuvre. Les événements les plus lourds de conséquences perdent en importance avec les nouvelles strates de faits qui les rejettent plus loin dans le passé. Celles et ceux qui ont quelque chose à se reprocher peuvent ainsi vivre avec le sentiment de culpabilité, le minimisant dans leur conscience jusqu’à faire comme si rien ne s’était passé. Ils finissent par penser que ceux qu’ils ont offensés oublient eux aussi. Cependant, si oubli et amnésie peuvent produire le même genre d’effets, il ne faudrait pas les confondre. Celles et ceux qui oublient côtoient d’autres qui pardonnent ou vivent au jour le jour, profitent mais aussi celles et ceux qui se souviennent. On aurait bien tort de les négliger. Visiblement, le chinois Wang Xiaoshai le réalisateur de ce film fait partie de cette dernière catégorie. A son actif auparavant Beijing bicycle et 11 fleurs.
Personnage central de Red amnesia, une retraitée septuagénaire nommée Deng (Lü Zhong) est confrontée à des événements qu’elle ne comprend pas. D’abord, son téléphone sonne sans qu’aucun interlocuteur ne s’exprime. Difficile de croire à une erreur quand cela se reproduit fréquemment. Au commissariat, les policiers se méfient rapidement, parce que Deng a la malencontreuse tendance à ne pas se rappeler de quelle oreille elle entend mal. Il n’en faut pas plus pour qu’on la soupçonne d’affabulation. Résultat, ses proches envisagent deux possibilités. Elle pourrait habiter chez un de ses fils ou bien héberger l’autre pour qu’elle ne reste plus seule. Deng refuse énergiquement, se sentant encore parfaitement autonome. La preuve, elle continue d’aller voir sa propre mère à l’hospice, même si les tête-à-tête ne sont pas très concluants (question de caractères).
Tout cela pourrait tenir encore un certain temps. Malheureusement pour Deng, des faits plus ou moins inquiétants et même menaçants viennent s'accumuler. La tension monte donc progressivement et le spectateur accorde davantage de crédit à la thèse de l’affabulation (pouvoir de suggestion du cinéma), en observant qu’à certains moments Deng se comporte comme si son mari récemment décédé était assis à côté d’elle (elle s’adresse à lui devant témoin). Et si, perturbée par son veuvage, elle commençait à perdre les pédales ?
Il faudra l’étrange présence quasi mutique d’un adolescent à ses côtés, pour qu’elle-même comprenne qu’il se passe quelque chose de bizarre qui n’a rien à voir avec son vieillissement. L’adolescent l’aide d’abord dans la rue. De fil en aiguille, on se demande jusqu’où il peut aller.
Ce film risque de sombrer dans l’oubli parce que, présenté comme un film policier voire un thriller, il décevra celles et ceux qui attendraient de l’action et des scènes spectaculaires. Si les policiers écoutent la plainte initiale de Deng, c’est bien elle qui devra comprendre ce qui se passe.
Le film montre dès le début une cité ouvrière aux murs en brique qui donnent une impression d’abandon (filmées sous un certain angle, on imagine la vie comme arrêtée derrière ces façades). Avec son allure de vieille femme respectable, Deng passe pour la victime dont on abuse pour cause de faiblesse. En apprenant à la connaitre, le spectateur relativise cette faiblesse (Deng fait des courses et de la cuisine pour ses enfants), qui l’amène néanmoins à chercher quelques soulagements physiques (bains de pieds). Sinon, elle s’accroche encore et toujours à son indépendance et rechigne face aux propositions de ses fils, parce que l’un affiche son homosexualité alors que l’autre vit dans un intérieur moderne, véritable signe extérieur de réussite à l’occidentale. En se saignant aux quatre veines pour leur offrir un avenir satisfaisant, elle espérait probablement autre chose pour eux. On en vient donc au passé qui a vu les destins se nouer.
Ce passé, c’est celui de la Chine communiste, d'où le rouge mentionné par le titre. Si la Chine a abordé le tournant du capitalisme et fait comme si on pouvait faire table rase du passé en quelques dizaines d’années, les traces restent dans les comportements (chorale), dans les chairs et dans les cœurs. Certains s’en sont mieux sortis que d’autres et ceux qui voudraient l’oublier vivent comme des amnésiques.
Le pouvoir du réalisateur est de créer une ambiance et de donner de nombreuses indications au spectateur avant de lui livrer les véritables clés du scénario (signé Lei Fang). Le personnage de Deng prend de la consistance à mesure qu’on la voit vivre. Elle-même et son entourage réagissent aux événements au même rythme que le spectateur. Longtemps l’incertitude demeure, ce qui rend la révélation d’autant plus marquante. En ce sens, le réalisateur applique avec intelligence le principe disant que pour traiter l’amnésie (surtout si on ignore ce qui l’a causée), rien ne vaut un choc, qu’il soit psychologique (confrontation avec quelque chose qui fait écho) ou physique (chute, etc.) Bien entendu, ici l'amnésie dont il est question est celle collective, de tout un peuple qui fonce dans une certaine direction (nombreuses marques très familières des véhicules qu'on observe dans les rues). Le réalisateur a choisi un personnage qui symbolise tout cela par son histoire personnelle.
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Créée
le 15 mai 2016
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