"Il y a un fort dans le Sud où voici quelques années un meurtre fut commis."
Dans un fort de Géorgie, une étrange ronde se danse. Une ronde à quatre partenaires. Le Major Penderton et sa femme Leonora (la propriétaire du cheval) et le colonel Langdon et sa femme Alison sont voisins et, croient-ils, amis. En tout cas ils vivent dans une harmonie de façade qui semble leur convenir.
Le Major (Brando exceptionnel) enseigne l'art de la guerre à des élèves officiers. Les cours du moment portent sur l'action offensive, les opérations nocturnes et le leadership. Au contraire lui est effacé, passif, frigide, frustré. Sa femme (Taylor superbe), qui dégage une tension sexuelle à mettre la bave aux lèvres des plus impuissants (sauf son jules, hélas), fait des balades équestres avec son colonel de voisin et des roulades derrière les mûriers. Dans le même temps elle considère sa relation avec son mari comme celle qui unit un cavalier à son cheval : elle le dompte, le fouette, le provoque et l'humilie. Un homme n'étant pas un cheval, la méthode montrera ses limites, notamment au dépend de son écarlate étalon Firebird qui fera les frais de cette frustration accumulée. La femme du colonel, elle, ne sort plus de chez elle depuis la disparition de leur enfant, il y a trois ans, et a sombré dans la déprime et la folie allant jusqu'à ce couper les tétons au sécateur. Elle ronge depuis son frein en compagnie de son domestique, le philippin efféminé Anaclecto, le seul de la maison à vivre pleinement sa vie et ses envies. Voilà quelle mascarade se joue entre ces quatre-là. Une mascarade routinière faite d'humiliation, de frustration et de mutilation, qui ne semble déranger aucun des intéressés.
Ce n'est que lorsque qu'un cinquième partenaire s'incruste, un soldat voyeur qui chevauche nu dans les bois et contemple innocemment Leonora dormir jusqu'au bout de la nuit, que va se décanter cette situation. Discret, furtif, il est à l'instar d'Anaclecto, et d'un capitaine mis au ban pour avoir assumé son bon goût et sa culture, un des rares dans ce fort à être honnête envers lui-même. Dans son regard se confond le notre. Il regarde tout ce petit monde d'un œil vif et pourtant neutre. Cet œil c'est l’œil d'or du titre, celui de Houston, le notre. Celui dans lequel "il y a la réflexion de quelque chose de minuscule et de... grotesque". Un miroir qui renvoie à chacun le spectre de ses propres démons : le major et son homosexualité refoulée, sa femme et sa frustration sexuelle, le colonel et son immoralité, sa femme et sa paranoïa. Un miroir dérangeant dans l'enceinte de ce fort qui ne tardera pas à retrouver sa perverse monotonie dans laquelle se complaisaient ses officiers après l'élimination de l’œil d'or, en fait celle des trois trouble-fêtes (le soldat, le capitaine et Anaclecto) qui leur renvoyaient à la figure ce qu'ils ne seront jamais : libres et heureux.
Un des films les plus intelligents et les plus beaux du monde. La photographie (et quelle photographie quoi!) est incroyable, l'interprétation magistrale, la musique toujours adéquate et la mise en scène oppressante. Huston, auteur aussi inégal que génial, trouve dans le roman de Carson McCullers le ciment de sa filmographie, la thématique de l'échec et de sa dimension humaine (ses inadaptés à la vie). C'est finalement le major Penderton (Brando) qui, totalement lucide quant à ses pulsions homosexuelles et ce qui se joue derrière lui, résume le mieux le film dans une scène totalement irréelle où c'est lui qui, allongé dans un fauteuil, psychanalyse le comportement de sa tribu assise derrière lui : "Toute réalisation obtenue au dépend de la normalité est mauvaise et ne devrait pas apporter le bonheur. En bref, il est préférable, car c'est moralement honorable, pour la tige carrée de continuer à s'ébattre dans le trou rond que de découvrir et d'utiliser le trou non conformiste qui lui irait". Frustration quand tu nous tiens.
"Il y a un fort dans le Sud où voici quelques années un meurtre fut commis." La population du fort est retombé à zéro. On y trouve plus personne de vivant.
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