Il est impératif de tenir compte du contexte pour apprécier Reflets dans un œil d’or à sa juste valeur : nous sommes en 1967, le Code Hays vient d’imploser l’année précédente, permettant l’émergence d’un renouveau vivace à Hollywood à travers des films comme La Poursuite Impitoyable et Bonnie & Clyde de Penn ou Qui a peur de Virgnia Woolf. Le ton est acerbe, le regard sans concession, le pessimisme affirmé et les portraits, individuels comme sociaux, à charge. Bienvenue dans l’ère de la désillusion, la fin d’un certain manichéisme : d’une certaine façon, on pourrait dire que la modernité théâtrale du XXème siècle infuse enfin le septième art. Bien entendu, les tentatives ont déjà eu lieu (avec, par exemple, les adaptations de Tennessee Williams par Mankiewicz ou Kazan la décennie précédente), mais les détours par le langage sont désormais moins systématiques : l’explicite sera plus cru, et l’imagerie davantage frontale.
S’entourant d’un casting de prestige (Brando et Liz Taylor), John Huston investit donc les terres de Carson McCullers, annonçant dès son carton préliminaire l’imminence d’un meurtre dans un fort du Sud. Reste donc à savoir qui tuera qui, et le moins qu’on puisse dire, c’est que le spectateur aura l’embarras du choix.
Monde clos et éminemment pervers, cette caserne concentre diverses déviances et dresse le portraits d’individus poussés dans leurs retranchement : Brando en major frigide et obsessionnel du contrôle, laissant sa femme, délurée et hystérique, s’ébattre dans le lit d’un collègue dont l’épouse sombre lentement dans la dépression la plus noire, accompagnée d’un homme de compagnie philippin qui accompagne d’une tonalité baroque ce cirque au-dessus d’un volcan. En témoin de ce bouillonnement méphitique, la présence d’un simple soldat voyeur, dans l’œil duquel se reflète bon nombre de séquences, et qui donne son titre au film à part égales avec un étrange paon dessiné par le philippin : monde de représentation, théâtre de la cruauté, tragédie imminente.
Le propos est audacieux, certaines scènes assez impressionnantes : Taylor nous avait déjà fait le coup l’année d’avant avec Qui a peur de Virigina Woolf dans cette franche vulgarité qui désactive toute possibilité de glamour ou d’identification, Brando joue d’une posture assez effrayante tandis que Julie Harris semble perdre pied comme elle l’avait fait dans La maison du diable de Wise. Le traitement de la pellicule accompagne cette déformation outrancière du réel, dans une atmosphère poisseuse et presque absurde, où le voyeur est tantôt en posture d’observateur, tantôt en exhibition, nu et à cru sur un cheval, dans des bois édeniques qui réveillent les pulsions les plus secrètes d’un homme qui se croyait sans failles.
Le malaise croissant est indéniablement efficace, et les incursions dans ces psychés torturées tout à fait novatrices dans les terres normées du cinéma américain. Mais la gradation constante des motifs, la dégringolade systématique des personnages et l’explicitation permanente rendent le propos souvent trop manifeste. On a connu le pessimisme de John Huston plus jubilatoire (Le trésor de le Sierra Madre) ou ironique (L’homme qui voulut être roi). Les vannes de la liberté d’expression sont ouvertes, reste à savoir maintenant juguler le flot.
(6.5/10)