La terre d'Aubignane village perché et abandonné, ne produit plus. Et tous sont partis. Panturle (Gabriel Gabrio) chasseur massif à l'allure inquiétante restera le seul des trois derniers. La Mamèche (Marguerite Moreno) bien bavarde et à la solution radicale est fatiguée du célibat de Panturle, et disparaît de lassitude. Le forgeron Gaubert (Delmont) usé du peu de travail, ami de longue date a été emmené, malade, chez son fils, et se meurt d'amour pour sa terre perdue, Le ton dépressif se marrie si bien à ce que l'on connaît de Giono et les percées optimistes ont bien du mal, laissant le pesant ambiant prendre sa place à l'écran. Et alors que Gedemus (Fernandel) remouleur de peu de confiance passe sur le chemin avec une femme (Orane Demazis), ce peu d'animation alentour suffira à Panturle à les guetter du haut d'un arbre avant de tomber à l'eau et d'être sauvé par cette vision miraculeuse et lumineuse d'une femme attentionnée. Arsule. Une belle histoire d'amour débute alors, comme de bien entendu pour ces deux solitudes, qu'un seul échange suffira à faire se rejoindre. C'est beau, tant la simplicité vient faire son œuvre. On a plus l'habitude. La confiance au seul regard de ces personnages qui comptent sur les mots et sur ce qu'ils sont censés dire, pour deux acteurs en phase. Femme désormais libre de ses contraintes et de ses choix de vie, sa présence ouvrira tous les possibles à Panturle.
La joie d'un avenir nouveau le poussera à semer du blé dans un champ asséché, de revoir ses amis et de profiter ainsi que nous, de toute leur abondante générosité - et d'en apprécier Alphonsine (Odette Roger), l'épouse de l'amoureux (Henri Poupon), sans autre effet d'une solidarité sans force cri ou caractère revêche -, de veiller à la bonne santé des uns et au bonheur de l'autre et de profiter d'une récolte inattendue et de la joie de dépenser un peu du pécule gagné au magasin le bien nommé, Le Gaspilleur. Tout roule, tout va dans le bon sens, l'amour peut soulever des montagnes et faire revivre la terre. Tout à sa sympathie pour celui qui se verra héritier d'une petite fortune (Charles Blavette) sans en être envieux, Panturle laissera le champ en l'état pour prendre soin de celle qui lui donnera bientôt un enfant. C'est toujours très beau.
Voilà encore une histoire de campagne, de terre, d'arbres et d'eau, de blé et d'amour inespéré pour cet homme que viendra accompagner cette femme de mauvaise vie, abusée des hommes, faussement sauvé par un autre, Gedemus, qui vexé d'avoir été quitté n'en finira jamais avec sa frustration.
C'est elle ! Elle a bien changé. Ce n'est peut-être pas elle ? Mais si ce n'est pas elle ? c'est donc bien une autre, qui elle, n'aura pas changé du tout... On retrouve le plaisir des mots si chers à Pagnol. S'il joue de la noirceur ambiante, de la désolation d'un pays et de ces hommes qui luttent, c'est pour mieux nous éclairer sur la grandeur d'âme de Panturle, de celui à qui nous devrions ressembler en toute logique. Sorte de géant de glaise, fort à l'extérieur et tout mou à l'intérieur en parfaite symbiose avec l'environnement, le don de soi fait homme. Gabriel Gabrio est tout simplement parfait, nous amenant à espérer nous en faire notre meilleur ami.
Orane Demazis et son amour inconditionnel est un personnage vivant et vibrant à l'unisson pour un bel hommage au courage de ces femmes qui n'avaient que peu de choix. Fernandel qui, quoique assez usant dans ses apparitions récurrentes, démontre son talent pour un personnage sournois comme rarement vu dans sa carrière, dont on ne sait jamais quel drame découlera de sa fourberie, mais le comique de son personnage vient alléger la noirceur du trait de l'écrivain et ce malgré quelques fautes de goût à vouloir jouer de l'humour, là où il aurait fallu éviter.
Une si belle histoire au cinéma, finit toujours mal tant le bonheur semble être de l'inaccessible, alors, ce fameux suspense impromptu du cinéaste nous rend inquiets lorsque Gedemus pourtant bien faible en comparaison de Panturle jouera avec désinvolture du couteau, convoquant presque l'imagerie du psychopathe, devant celui qui, inlassablement, répondra à ses demandes en toute honnêteté, prêt à lui tourner le dos. Avec un rôle qui appuie les freins au bonheur, c'est pourtant bien l'innocence qui prédomine et cet amour de la terre que l'on va choyer pour en être remercié en retour, qui rappelle à Giono et à son attachement.
Pagnol prend le temps de nous faire voir leur belle campagne, tout comme ceux qui s'y fondent et ces images seraient presque aujourd'hui de l'ordre du fantasme. Tout relève d'une grande nostalgie. Pagnol réussit à retranscrire l'environnement de Giono, de cette beauté des paysages, de l'acharnement des hommes et de la noirceur de l'âme pour mieux être détruite par la force des liens et l'amour de la nature.
On y retrouve le parler du cru, les grands sentiments et les envolées verbales qui passent des uns aux autres avec fluidité et tout le bon sens habituel, avant que chacun ne parte vaquer à ses occupations, laissant ceux de peu de moralité s'éloigner comme un mauvais vent balayé par la brise matinale, pendant que d'un seul regard l'adieu à l'ami de toute une vie, laissant comme ultime héritage un de ses plus beaux outils, laisse place à l'émotion, tel ce temps révolu où rien ne semblait pouvoir se perdre dans l'oubli.
Regain, quel beau titre et quel plaisir.