La première impression, au sortir de la salle, au-delà de la déception, tient plutôt de la frustration – tout ça pour ça ? On n’est pas tout à fait dans l’imposture (ce serait d’ailleurs un peu trop d’honneur), plutôt dans un produit marqué par la plus grande paresse – et qui ne mériterait, pour éviter que d’autres spectateurs se fassent piéger, qu’un spoiler immédiat. Et ce n'est pas très grave puisque de toute façon tout le monde aura anticipé le twist final, très éventé, bien avant la fin du film.


Spoiler, donc – déjà là en fait, mais sous une forme inversée (énigme élémentaire à résoudre pour toi, lecteur) dans le titre de la critique.


« C’est pas moi, c’est les autres ». On peut aussi interpréter cet intitulé d’une tout autre façon : comme une excuse, pour m’être laissé piéger, alors que j’avais été prévenu par des proches, par des critiques aussi, et des notes très faibles – «n’y va pas, c’est nul ». j’y suis allé, à cause des « Autres » précisément, peut-être le meilleur film d’Amenabar, avec son approche très subtile, très fine, finement malsaine aussi, du fantastique : dans un cadre « naturel », presque ordinaire, des détails infiniment discrets qui détonent, qui jurent, qui finissent peu à peu, insidieusement et de façon irréversible, par entraîner le spectateur dans une autre dimension, celle de l’angoisse pure, toute en maîtrise.


Dans Regression, le principe et la manière sont les mêmes – mais inversés. Un point de départ tournant rapidement à l’hypothèse horrifique (une jeune fille dénonçant par lettre son père pour abus sexuels, l’affaire s’étendant, assez rapidement, à tous les proches, jusqu’à la communauté satanique, avec représentation du diable, sectateurs encapuchonnés, viols, jusqu’aux sacrifices rituels de nouveaux nés). On est bien chez Amenabar, et à nouveau les indices ne sont distillés qu’au compte-gouttes, avec même un nombre réduit de scènes où l’action s’emballe, peu de jump scares – essentiellement situés dans des rêves, ou dans des visions fantasmées à l’intérieur de lieux en fait anodins ou ordinaires. Et puis, vers la fin du film, une véritable agression, mais sans lien avec l’horreur distillée par les adorateurs de Satan. Aucun élément en réalité pour objectiver les accusations de la jeune fille, au-delà de ses faits et dires. Et pourtant, on nous le répète bien lourdement, "elle ne ment jamais". Et si tout cela …


On est bien chez Amenabar, mais les scènes, cette fois, manquent singulièrement de finesse – rien de bien original dans le traitement des fantasmes et des rêves, et pour le reste, l’atmosphère, la porte d’une grange grinçante et battue par le vent et les miaulements d’un chat, rien de plus …


Certes la réalisation est assez soignée – une photographie constamment en gris bleuté, froide ou poisseuse, de beaux clairs-obscurs. Et l’image ne trouvera un aspect lumineux, éthéré, sans impuretés que sur le plan ultime – une fois que l’imposture (celle du twist final) aura été dénoncée. Les interprètes, Emma Watson, Ethan Hawke, David Thewlis, Lothaire Bluteau ne sont ni bons, ni mauvais, ils font ce qu’on leur a demandé de faire, tous en adoptant une attitude mono-expressive.


Le problème n’est pas dans la réalisation, mais dans la vacuité intégrale du récit – où tout finit, rapidement, par se révéler plus que prévisible.


En parallèle à cette histoire à peine horrifique de l’affrontement avec les pseudos illuminés de Satan, le film développe un second thème, vraisemblablement le vrai sujet du film, mais traité avec trop peu de relief, mal mis en valeur alors qu’il offrait un potentiel sans doute plus intéressant – celui de la fameuse régression, celle du titre – la régression ou la thérapie (ici par l’hypnose) permettant de plonger dans son propre passé pour y faire revivre les éléments essentiels que les individus ont gommés, effacés de leur conscience – en l’occurrence les crimes commis contre la jeune fille et les fameuses messes noires. Le film très provocateur de Dusan Makavejev, Sweet Movie (1974), présente un exemple, quasi documentaire, d’une régression thérapeutique, conduite non pas au moyen de l’hypnose, mais à l’aide d’une transe collective et totalement immonde par la communauté d'Otto Muehl. L’objectif est alors d’obtenir, chez le sujet soumis à ce cérémonial, une régression émotionnelle, jusqu’à se retrouver au stade fœtal pour une nouvelle naissance. Et c’est au nom de ces grands principes, de ces prétentions quasi médicales et de cette renaissance, qu’Otto Muehl pourra s’adonner consciencieusement, avant d’être emprisonné, au viol sur mineurs avec l’approbation de tous les membres de sa secte.


Le psychologue interprété par David Thewlis n’a pas de grands rapports avec Otto Muehl – en dehors de l’assurance de sa science thérapeutique. Il reste que c’est bien les dangers de la régression que le film entend dénoncer, à travers les nouvelles formes de conditionnement qu’il opère sous couvert de libération. Mais on ne s’en serait pas rendu compte, si cela n’apparaissait pas, lourdement et explicitement, dans le texte défilant sur l’écran juste avant le générique de fin.


Cela dit - la façon dont l’enquêteur parvient à dénouer, pour lui-même puis pour les autres, les effets de ce conditionnement (une histoire de visage omniprésent sur des affiches publicitaires …) est sans doute un des éléments les moins ratés du film, même si cela demeure, pour le moins, extrêmement léger … Il reste que le danger porté par la pseudo théorie de la régression est assurément plus redoutable que l’affabulation tournant autour des sectes sataniques - avec en arrière-plan d’autres sectes bien plus dangereuses et d‘autres cérémonies autrement plus noires.


Mais on devra se contenter de la pauvre imposture satanique – et après avoir flotté, certes pas bien  longtemps, du côté de Rosemary's Baby,  on finira par échouer, assez tristement, dans les parages d'Outreau.

P.S.


C'est moi, c'est pas les autres.
Outreau.
Tout ça pour ça.

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le 5 nov. 2015

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