La malédiction des travestis morts-vivants
En lisant le résumé de ce film dans le catalogue 2012 du NIFFF – « homosexualité… promotion de la liberté de choix… attaquant avec force l’intolérance… » – j’avoue que je m’attendais à un film un peu moralisant, consensuel, bien-pensant, bref un candidat idéal pour le concours de la RTS (auquel il participait effectivement) avec toutes les qualités hollywoodiennes qu’il faut en à peine un peu plus tropical. Erreur. Si ce n’est pas un chef-d’œuvre, ce film n’en est pas moins une bonne comédie, plus irrévérencieuse que prévu, qui traite le sujet de l’homosexualité et de l’homophobie avec un humour sans doute assez différent du nôtre.
Ceux qui suivent le NIFFF depuis quelques années ont déjà pu s’intéresser à la manière dont l’homosexualité est traitée dans les comédies asiatiques en voyant deux films malais absolument déjantés, "Zombies from Banana Village" (2007) et "Limah’s Ghost Goes Out" (2010), que je recommande vivement aux amateurs de curiosités. Mais les Philippines ne sont pas la Malaisie et l’approche ici est encore différente. Le film raconte l’histoire de Remington, un petit garçon qui s’amuse à montrer du doigt les homosexuels dans la rue (spécialement les travestis) et à se moquer d’eux, jusqu’au jour où il tombe sur un sorcier qui lui jette un sort : il est condamné à devenir lui-même homosexuel une fois adulte. Quinze ans plus tard, la malédiction est en marche. Bien malgré lui Remington doit faire face à sa nouvelle identité alors qu’un assassin insaisissable met la police sur les dents, trucidant tous les homosexuels qu’il croise sur son chemin au moyen d’une sorte de pistolet créé originellement par des scientifiques pour repérer les animaux gays dans les troupeaux… Cette précision donne une idée de l’esprit potache qui domine dans l’ensemble du scénario. En philippin, “zombadings” serait la contraction du mot “zombie” avec un mot argotique qu’on pourrait traduire par “grande folle”. De fait, dans la seconde partie du film, suite à un autre sortilège, tous les travestis assassinés ressuscitent et sortent de terre pour se venger…
La prestation de l’acteur principal est assez remarquable, on suit sa métamorphose, il a de plus en plus de peine à réfréner une attitude, une gestuelle, un ton de voix qui le signalent comme homosexuel. En effet, comme dans les films malais évoqués plus haut, les personnages gays jouent systématiquement le jeu de la surenchère, de la caricature, de l’outrance. Au fur et à mesure de sa transformation, Remington se met à parler autrement, à utiliser ce qui semble être un registre de langage philippin spécialement attribué aux homosexuels et que le réalisateur a sous-titré en rose pour marquer encore davantage la différence. C’est là une nuance qui échappe malheureusement à tous les non-Philippins (dont je suis) mais il y a visiblement dans cette variation langagière tout un déploiement d’effets comiques.
De même que le film préfère l’exagération à la vraisemblance, il préfère aussi le symbolique au prosaïque. Ainsi, le sortilège qui poursuit Remington est personnifié par l’image d’une écharpe rose qui plane dans le ciel au dessus de lui. Le début de sa métamorphose est marquée par la disparition chez lui de toute pilosité, un peu comme si l’inversion sexuelle correspondait à une forme de dévirilisation (ce qui est même certain étant donné que l’homosexuel est presque à chaque fois associé au travesti dans le film). La nuit où se lèvent les zombies est une nuit de lune rose, elle est aussi la nuit où le héros restera gay à tout jamais s’il ne trouve pas un autre homme “homosexuellement vierge” pour prendre sa place et endosser la malédiction.
Il ne s’agit peut-être pas d’un grand film mais il est toujours intéressant de se pencher sur le cinéma de divertissement d’autres horizons, d’autres cultures.