L'immense talent du cinéaste du "plat pays", André Delvaux, était de savoir infuser de l'onirisme dans une représentation pleinement réaliste, où les couleurs froides (à l'exception d'une seule ici !) cohabitent avec un climat hivernal tendance bien grisâtre. On a froid avec les personnages, que c'est à peine si on ne se frotte pas les mains, par réflexe, pour se les réchauffer, alors que le chauffage fonctionne tout à fait bien chez soi, tout en se disant, en tant que spectateur, que la vie est un songe.
Oui, on se demande si on ne vit pas en plein dans un rêve (ou un cauchemar, c'est selon !). On ne sait pas ce qui est vrai, ce qui ne l'est pas. Pour ceux qui, à partir d'un film ou même d'une oeuvre en général, aime laisser vagabonder son esprit à former ses propres théories, ses propres interprétations, Rendez-vous à Bray est parfait. Il pousse à se poser beaucoup de questions, mais c'est au spectateur d'y trouver des réponses. Eh oui, on peut trouver d'autres énigmes au cinéma que de savoir si Shining dénonce le génocide des Amérindiens ou non, si Harrison Ford est un replicant ou non.
Est-ce que l'ami, soldat sur le front (oui, l'action se déroule pendant la Première Guerre mondiale !), qui a invité le protagoniste (qui, étant luxembourgeois, n'a pas à se taper les horreurs de la guerre !) dans sa maison de campagne, est mort, a eu un fâcheux contretemps ou en a fait exprès de ne pas être là ? Et celle qui est la servante, est-elle seulement une servante ou est-ce la maîtresse de cet ami qui ne vient pas ? À nous, spectateurs, à travers un présent glacial et des éclairs de passé, d'en décider.
Dans cette optique, une scène, absolument saisissante, où on voit le personnage, joué par Bulle Ogier, hypnotisé par une projection du Fantômas de Louis Feuillade, semble nous dire qu'il faut lâcher prise, accepter la magie du cinéma, faire comme si elle était aussi vraie que la réalité.
Si Mathieu Carrière est visiblement un acteur trop limité pour bien faire ressortir la complexité de son personnage, la sublime Anna Karina est capable d'être aussi excitante qu'un iceberg puis d'être, d'un coup, d'une sensualité incroyable. Sa présence est profondément marquante et troublante.
En bref, il faut accepter de lâcher prise...