Il y a toujours un degré de difficulté à intégrer un fait sociétal dans un film de fiction, sans que cela apparaissent un peu trop « pédagogique ». L’enchainement des étapes (genèse, contingence, incertitude, dénouement) prenant le pas sur l’histoire, et donc sur l’émotion. En référence, deux exemples récents et antinomiques en tête, partant d’un même principe. « Théo & Hugo dans le même bateau » du duo Ducastel et Martineau sur la contamination au VIH et « La vanité » de Lionel Baier sur l’assistance à la mort. Dans le premier, tous les petits moments partagés sur cette « fameuse » nuit sont ponctués de séquences tant visuelles que narratives autour de la maladie (transmission, colère, doute, hôpital…) qui viennent totalement plomber l’intimité de ce couple émergent, voire la ranger au second plan. Le film se transforme alors en une espèce de grand spot de prévention assez impersonnel, d’autant plus qu’il y avait dans le film beaucoup d’autres défauts. A l’inverse, dans « La vanité » le découpage autour du « suicide légal » part sur un même principe (décision, doute, soins, dénouement…) mais se trouve non pas surligné, mais comme une base argumentaire qui alimente les protagonistes, les fait réagir et vivre, provoquant réflexion, réaction et surtout émotion.
« Réparer les vivants » se situe dans le premier cas de figure. Pour croiser les deux destins, celui du donneur et celui de la receveuse, la trame ne tient qu’à une opération de couture qu’est l’habillage médical en lien avec le don d’organes (interrogation, colère, angoisse, revirement, hôpital…). Globalement, sur le papier cela peut se tenir, je ne doute pas que le roman soit de qualité et suscite le trouble. Mais au cinéma, il en va différemment de la littérature. Le réalisateur projette sa propre vision des faits, il « habille » ses personnages et met en évidence de ce qui lui tient à cœur. Hors, il semble y avoir un énorme fossé entre l’univers du jeune homme en mort cérébrale et celui de cette femme en attente d’une transplantation. Autant Katell Quillévéré maintient jusqu'au bout une fibre de vie à l’un (les parents, les flashbacks…) autant elle appauvrit l’univers et la présence de cette femme qui devient une espèce d’accessoire narratif. La pauvre Anne Dorval fait ce qu’elle peut, la réalisatrice non. Elle y est très mal dirigée (il en est de même pour les fils).
Le spectateur face à un récit des plus traumatisants est totalement passif. Il le subit. Certes, il est juste d’évoquer cette nécessité absolue du don d’organe (qui aujourd’hui est de droit). Mais pour être totalement convaincant, il aurait fallu étoffer l'aspect psychologique et être moins démonstratif. C'est ce qui fait l’essence même d’un propos fort qui essaie de toucher ou convaincre. Le côté «technique » du don d’organe peut être développé dans un roman, moins dans un film, au risque de lui donner un aspect docu-fiction un peu distant.
Pour autant, « Réparer les vivants » possède de vraies qualités. Quelques scènes sont bien pensées (l’accident entre autre), Tahar Rahim est convaincant, Kool Shen et Bouli Lanners au top, Alexandre Desplat accompagne impeccablement le tout et il y a un vrai travail de recherche sur la lumière… mais je n’ai pas été touché…
Qu’est-ce que je regrette de ne pas aimer le film autant que je l’aurais voulu… pour le moins, cela m’a donné envie de lire le livre ! Ce n’est pas si mal après tout !