Darren Lynn Bousman. Les petits plaisantins du fond s'amusent déjà à franciser son nom et en faire la définition de sa filmographie. On ne peut pas leur donner totalement tort, mais pourtant. Réalisateur aujourd'hui disparu des radars, il fut le porte étendard de la saga Saw aux côtés de James Wan. Auteur des opus 2, 3 et 4, le milieu des années 2000 constitue ses heures de gloire, avant un retour raté en 2021 avec Spirale. Au vu du succès phénoménal de ses longs-métrages (Saw 3 accumule 160 millions de dollars de recettes pour un budget de 10 millions seulement), n'importe quel projet de son choix promettait la grâce des producteurs. Rattaché à la pièce Repo ! de Darren Smith et Terrance Zdunich depuis 2001, il estime que c'est le bon moment pour se lancer dans cette aventure complètement folle, croisement improbable entre cyberpunk et horreur gothique. Cependant, la plus grande particularité de Repo ! c'est d'être avant tout une pièce intégralement musicale. Universal refusa le projet, les exécutifs s'exclamant : «A fucking musical ?». Ce qui amènera un conflit d'intérêts autour du film RepoMen deux ans plus tard, sorti sous bannière Universal. Mais ceci est une autre histoire. Twisted Pictures, déjà impliqués dans la production de la saga Saw accepte de financer le projet. Et comme pour Saw, LionsGate se charge de la distribution. Avec seulement 9 millions de dollars, ce qui est peu au vu de l'intensité du projet et de la renommée du réalisateur à ce moment là, Darren Lynn Bousman accouche de son œuvre la plus barrée et personnelle. Il raconte souvent que ce fut son film le plus difficile à réaliser, le plus épuisant, notamment dû au combat constant avec ses producteurs. On n'en imaginait pas moins une fois arrivés au générique de fin.


Dans un futur proche, une épidémie qui provoque un dysfonctionnement des organes dévaste une partie de la population. Dans ce monde en construction, la société Geneco impose la transplantation d'organes synthétiques privatisée. Lorsque le patient n'est plus en mesure de rembourser l'opération, un Repo Man est envoyé pour récupérer la marchandise. Se greffe sur cette toile de fond les histoires d'amour et de trahisons de deux familles que tout oppose. Les influences de Bousman sautent rapidement aux yeux. Repo ! incarne la filiation moderne aux opéras rock des seventies, recyclant notamment l'esthétique Camp chère au Rocky Horror Pictures Show, à travers ses excès baroques et sanglants en tout genre. Du point de vue dramaturgique, c'est plutôt du côté de Phantom of the Paradise qu'il faut chercher. Empruntant dans son dernier acte le mythe du fantôme de l'opéra et jouant son final grandiloquent directement sur scène, à l'image du chef d’œuvre de De Palma, le film de Bousman peine à s’élever au rang de son modèle, mais compense par une débauche d'énergie et d'émotions d'une sincérité absolue.


Issu au départ d'un spectacle théâtral, Repo ! le film s'adapte parfaitement à cette géographie particulière de l'espace. Les décors ne paraissent pas liés entre eux au sein d'un espace filmique plus global mais sont uniques à chaque séquence. On reprend cette logique des planches, où un décor n'existe que sur quelques mètres carrés, indépendamment du reste du monde qu'il est censé représenter. Chaque séquence se construit donc sur une unité de lieu unique (laboratoire, chambre, rue malfamée, cimetière etc...), créant un espace temporel et géographique resserré, comme si les enjeux ne dépassaient pas les embrouilles de quartier. Un choix pertinent, qui imbrique rapidement ses personnages et leurs prérogatives dans un cadre limité, et rend leurs conflits d'autant plus proches et explosifs.


Pour se faire, Bousman s'appuie sur une identité visuelle et une direction artistique radicales. Il reprend l'esthétique expérimentée sur la saga Saw, avec son image très contrastée et agressive qui virait au "jaune pisse" selon ses détracteurs, tout en parvenant à pousser les potards encore plus loin. Le film vomit littéralement ses couleurs criardes, surexpose régulièrement ses décors et ses comédiens, parvenant à un rendu tranchant et parfois absurde. Forcément premier élément qui marque la rétine lors du lancement du film, la photo est en symbiose totale avec les autres départements. Ces visuels dévergondés symbolisent toute la particularité du projet, et il n'aurait pu en être autrement. Pour accentuer cet état d'esprit, le production design mélange habilement l'horreur gothique des sixties aux délires cyberpunk futuristes, sans oublier une patine ultra-artificielle pop qui transcende le tout. A l’image des personnages, dont les looks, costumes et comportements paraissent tout droit sortis de comics de série B. Une inspiration directement mis en scène à plusieurs reprises, pour développer le passé des protagonistes ou pour imager un règlement de compte sanglant à défaut d'avoir le budget suffisant.


Mais qu'en est-il du cœur du projet, à savoir toute sa partie musicale ? Ce mélange de rock, de métal moderne très typée années 2000, d'électro et parfois d'opéra plus classique, détonne et amplifie la puissance des images. Toutes les scènes étant intégralement chantées, l'assemblage donne au film un aspect «in your face» galvanisant, parfois épuisant, mais dont on ne ressort pas indemne. Tout ne sonne pas toujours juste, c'est parfois carrément le bordel à l'écran avec les multiples lignes de chant qui se superposent, mais qu'importe. Les compositions sont par instants complètement folles, changeant de rythme à chaque dialogue ou carrément de ton en plein milieu de la séquence. Lors de certains échanges, ce sont les riffs de guitares acérés qui dictent le dialogue, quand ce ne sont pas littéralement les soli qui rythment la chorégraphie de l'action. On retiendra notamment cette scène dans la chambre de l'héroïne, qui sans prévenir, à la faveur d'un changement d'éclairage, se transforme en un déferlement punk de sale gosse.


Sale gosse, c'est peut être ce qui définirait le mieux le travail de Darren Lynn Bousman sur Repo ! A seulement 29 ans, le jeune réalisateur du Kensas accouche de son œuvre la plus sincère, lui-même étonné de pouvoir la livrer si tôt dans sa carrière. Une envie de tout donner, sans retenu, de proposer un spectacle dont la générosité déborde par tous les pores du films, à l'instar de ces saillies gores, de ces têtes tranchées, de ces organes extirpés à mains nues et autres geysers de sang. Le casting n'est pas en reste, avec un Paul Sorvino, une Paris Hilton (!) et un Bill Mosley en totale roue libre, participant ainsi à l'hystérie sans demie-mesure du long-métrage. Alexa Vega (ex Spy-Kids) et notamment Anthony Stewart Head livrent des prestations plus nuancées mais non dénuées de la moindre folie. Un projet atypique, insupportable et vulgaire pour les uns, jouissif et débridé pour les autres. A vous de choisir votre Camp.


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le 21 mai 2024

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