Darren, t'es un pote.
En fait, très nombreux sont les amateurs de cinéma qui aiment "Requiem for a dream" pour de mauvaises raisons. Ou en tout cas pour de pas tout à fait bonnes . Certains portent au pinacle la...
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le 30 mars 2011
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Mais qu’est-ce qui peut se passer dans la tête de quelqu’un pour aller écrire une tartine grosse comme le Texas sur un film sur-analysé, vieux de 20 ans, et sur lequel tout a déjà été dit ?
Je m’étais promis il y a longtemps de lire le bouquin d’Hubert Selby, Retour à Brooklyn, sur lequel est basé ce film d’Aronofsky. De l’eau a coulé sous les ponts depuis, c’est aujourd’hui chose faite, et j’ai également regardé quelques interviews de l’auteur pour la bonne mesure. Tout ça me permet d'appréhender l’œuvre en me sentant à l’aise, parce que oui, je pense qu’on peut parler de chef d’œuvre.
J’adore Aronovsky, je le mets à la même hauteur que Kubrick. Il a peu de films à son actif, mais tous sont de sacrées claques. J’ai été séduite par l’élégance de Black Swan. J’ai été très agréablement surprise par The Wrestler et son immersion réaliste et osée dans le monde très caricatural (et caricaturé) du catch Américain. J’ai été impressionnée par les préoccupations métaphysico-spirituelles de Pi et Noé, avec une mention spéciale pour la scène de la « Création » de ce dernier qui hypnotise même une athée comme moi. J’ai été choquée par le déversement de violence dans le très allégorique Mother, peut être le seul film du réalisateur qui ne se termine pas trop mal.
Mais en définitive, toute l’œuvre d’Aronofsky, qui commence à bénéficier d’un certain recul, me ramène aujourd’hui à Requiem for a dream.
Chers amis, dans le fond, je ne sais pas trop pourquoi j’écris cette critique. Mais c’est peut-être moins dans l’espoir d’être lue et approuvée par qui que ce soit, que pour expier ce profond malaise dans lequel il m’a (re)plongé.
Requiem “pour un rêve”. Un titre tout à fait indiqué, et ça tombe bien, parce que tout est fait pour le film soit déraciné au maximum.
Pour commencer, le film est intemporel. Il y a certes des éléments, comme cette « guerre de l’héroïne » entre gangs, qui pourrait laisser penser que nous sommes bien dans les années 1970. Mais d’autres indices, comme les designs et le look grunge de Marion nous ramènent plutôt dans les années 1990. Pour certains, ce seront des erreurs, des « anachronismes » … je ne pense pas. C’est un parti pris évident de ne pas ancrer le film dans une époque bien définie.
Toujours sur cette notion du temps, les personnages ne sont jamais vraiment là non plus. Tantôt projetés dans le passé par l’intermédiaire de souvenirs très clairement idéalisés. Tantôt projetés dans un avenir hypothétique qui, observé sobrement, est tout aussi idéalisé que banal. Et quand nous sommes dans le présent, les personnages sont finalement rarement là avec nous, ils sont soit shootés, soit en redescente, soit la tête dans les nuages.
La spiritualité est également évacuée du film. Pas de bat-mitzvah pour Harry, mais une remise de diplôme à la place. Il faut que tout le monde sans exception puisse s’engager personnellement dans l’intrigue, sans distinctions d’âge, de couleur ou de religion.
La seule caractéristique du film qui l’ancre relativement dans la réalité, en tous cas dans quelque chose de « reconnaissable » pour le spectateur, reste la ville de New York. L’intrigue se passe presque entièrement à Brooklyn, avec un focus fort sur Coney Island. Certes, le film aurait peut-être eu encore plus de puissance s’il n’avait pas été reconnaissable du tout dans son espace, de la même manière qu’il est relativement « neutre » dans sa temporalité, mais passons. Ça reste un sacré uppercut, et Selby et Aronofsky sont deux New Yorkais de naissance, assez amoureux de leur ville natale de ce que j’ai cru comprendre. Donc laissons-les nous prendre par la main et nous emporter dans un lieu qu’ils connaissent bien.
Coney Island.
Foyer de ces paysages faits de manèges, de montagnes russes et surtout de la fameuse « Parachute Jump », cette immense tour rouge qu’on retrouve en toile de fond sur beaucoup de plans du réalisateur. Aujourd’hui fermée, cette ancienne attraction permettait aux visiteurs de sauter du haut de cette tour, équipés d’une sorte de parachute attaché à la structure, et de planner dans les airs avant de retomber au sol. Je ne crois pas qu’il y ait eu d’accidents, ce qui relève vraiment du miracle.
Le reste du film est assez froid, les bleus et les gris dominent vraiment la photographie, beaucoup d’éléments sont floutés, et la chaleur ne semble réservée qu’aux rêves.
Une tour rouge disais-je, comme les robes de Sara et de Marion. La couleur de la vie par excellence, qui semble symboliser ici l’illusion, mais surtout la chute.
Visuellement, le film est très rythmé et extraordinairement stylisé.
Le réalisateur apporte vraiment sa patte, marque des chapitres par des références saisonnières, utilise fréquemment des montages, des "jingles", floute, accélère et ralenti les scènes à sa guise selon ce qu’il veut nous montrer, utilise des close-ups ou au contraire embrasse de larges horizons, fixe la caméra à même les acteurs…
Il utilise aussi à plusieurs reprises des plans « coupés-collés » (pardonnez mon manque de vocabulaire) surtout avec Harry. La scène du début avec la télé de Sara, la scène d’amour avec Marion, la scène de shoot avec Tyrone. Toutes trois découpées dans deux plans séparés comme pour marquer le fait que bien que côte à côte, et malgré les sentiments sincères qui les unissent, les personnages ne sont jamais véritablement « ensemble ».
La pupille dilatée, là aussi un élément récurrent dans le visuel du film.
D’autres me diront que la prise d’héroïne fait rétrécir la pupille au lieu de l’agrandir, et que c’est donc une « erreur » du réalisateur. Mais enfin, c’est TOUT sauf une erreur.
Et pour ne rien gâcher, la musique est complètement « trippale ».
Il y a très peu de personnages secondaires, qui sont tous plus utilitaires qu’autre chose, des dialogues simples, une action qui se passe presque exclusivement en huit-clos. Pas une seconde n’est perdue, pas une scène n’est inutile.
C’est vraiment la virtuosité du minimalisme qui est mise à l’œuvre ici, et c’est quelque chose que j’adore particulièrement dans le cinéma.
Ce film est un régal pour le sens et est rempli de très belles images, presque trop pour pouvoir toutes les citer. Mais je garderais surtout en tête celle de Harry et Marion couchés par terre côte à côte, en plein extase post rush, tous deux entourés des différents designs de Marion. Là aussi, ces designs éparpillés en cercle autour du couple métaphorisent leur prison : leurs illusions. Comme quelque chose qui n’arrivera jamais, ne pourra jamais arriver, quoi qu’ils fassent. C’est vraiment un des plans clé, qui résume très bien toute l’histoire.
Si le rouge semble être la couleur attribuée aux rêves, on remarquera que le vert est quasiment absent du film. Vert, la couleur de la nature, la couleur de l’espoir.
Eté - Automne – Hiver – Stop.
Pas de vert, pas de Printemps, pas de renouveau, pas d’espoir pour tout ce beau monde.
Ils ne méritaient vraiment pas ça.
Certaines personnes très optimistes verront peut-être quelques lueurs d’espoir dans la destinée de certains personnages, notamment celui de Tyrone, ou même de Marion.
J’avoue que je ne suis pas de ce bord, il n’y a strictement rien dans ce film qui m’amène à penser que ces personnages ont un quelconque avenir, si ce n’est leur disparition définitive.
Sara est déjà morte.
Harry n’en a plus longtemps.
Marion et Tyrone sont destinés à finir dans le dénuement total, en prison ou à la rue, et mourront très vite aussi.
L’issue de cette histoire est indéniablement tragique, et l’est d’autant plus qu’ils partiront tous en essayant désespérément d’échapper à leurs réalités respectives.
En résumé : un portrait de la réalité très très très glauque, franchement déprimant même.
Là où les écrits de Selby sont assez graphiques, avec en prime l’utilisation d’un style et d’un vocabulaire vulgaire, le tout dans un environnement New-Yorkais crade et dangereux (c’est la grande époque des 70s, que voulez-vous), Aronofsky arrive à donner sa propre lecture à cette intrigue, qui est d’ailleurs d’une poésie et d’une pudeur surprenante.
Beaucoup moins sale et choquant que le bouquin, il n’empêche que le film nous plonge, par les mystères de la cinématographie, beaucoup plus efficacement dans l’horreur. Trop de pathos pour certains ? Au contraire, un sacré tour de force pour moi.
En effet, le tout reste assez propre, le sexe et le sang ne sont jamais montrés, sauf de manière très express ou détournée.
Et surtout la prise de drogues n’est jamais 1/ ni montrée, 2/ ni nommée comme telle. Ce sera toujours stuff, shit, score, uppers, push off, etc... On n’utilisera jamais le « vrai » terme », ne serait-ce qu’une seul fois. Encore une belle preuve du déni. Si la drogue est montrée, c’est uniquement par l’intermédiaire des montages, mais elle est toujours savamment gardée hors champ.
Cela ne fait que renforcer le fait que les drogues, et en particulier les drogues dures, ne sont pas le véritable thème du film. Elles ne sont que le briquet qui servira à allumer une énorme bombe.
Je cite Selby : ce film est censé nous parler du « Great American Dream ». Why not.
Le véritable thème du film, c’est le « rêve » bien sûr, mais surtout l’obsession et l’aliénation à ce même rêve, et le choc irrémédiable de la chute, de la désillusion, du réveil et du retour au réel. Comme si nos vies et nos personnes n’étaient jamais assez, comme s’il fallait toujours être « plus » que ce que nous sommes, et avoir « plus » que ce nous avons déjà. Une course sans fin derrière un rêve qui, parce qu’il est rêve, est destiné à ne jamais se produire. Un rêve qui ne fait d’ailleurs pas plus envie que ça, mais dont le seul et unique mérite est d’exister quelque part « ailleurs » qu’ici et maintenant.
Et on en est toujours là, c’est bien ça le plus triste. Je me demande bien ce que Selby dirait s’il voyait tous ces camés au fentanyl aujourd’hui.
10/10! La réalisation est parfaite, c'est magnifique, c’est indémodable, c'est viscéral, c’est puissant, c'est unique, c’est incopiable, et shit si ce n’est pas addictif ce truc.
EN CONCLUSION :
Evidemment, ne tombez jamais dans la drogue, quelle qu’elle soit, et aussi « soft » soit-elle. C’est de la merde, point. Ce film consolide véritablement mon opinion sur le fait que chaque mal-être, chaque tristesse, chaque injustice, chaque souffrance, chaque traumatisme… doit être accueilli exactement pour ce qu’il est, en le regardant bien les yeux dans les yeux, sans complaisance et sans artifices.
Refusons toutes formes de drogues et d’addictions, refusons toutes les obsessions, et refusons tout ce qui nous donne une meilleure image de la vie et de nous-même. Ce ne sont que des faux décors, et y succomber fait de nous des êtres faibles, lâches et malheureux.
Si vous trouvez la vie moche, elle sera encore pire si vous la rêvez autrement.
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Créée
le 26 avr. 2023
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