Sorti dans l'anonymat en autonome 1992, Reservoir Dogs semblait voué à disparaître des écrans en l'espace de deux semaines. Trois ans plus tard, le film était toujours distribué en première exclusivité dans un réseau certes réduit mais tenace. Illustration typique du phénomène de ''bouche à oreille'' qui a consacré tant de films cultes, Reservoir Dogs a fait rêver des dizaines de jeunes réalisateurs ambitionnant de pondre une œuvre référentielle dès leur premier essai et pour des queues de cerises. Par ailleurs, Tarantino a bénéficié, dans l'esprit des critiques, de l'assimilation évidente à Stanley Kubrick dont le premier film distribué (mais qui était en fait son second long métrage après l'introuvable Fear and Desire), Killer's Kiss, petit polar filmé à l’arraché, construit autour d'une narration fragmentée et bourré à craquer d'idées géniales et d'une virtuosité encore balbutiante, évoquait irrésistiblement les conditions de production de Reservoir Dogs, lequel, par un excitant retour à l'envoyeur, s'inspirait très largement du film suivant de Kubrick, The Killing. Bref, un réalisateur très prometteur (doublé d'un cinéphile maniaco-hystérique averti) était né et allait probablement nous émerveiller dans les années à venir. La suite fut ce qu'elle fut (globalement très positive), mais qu'est-il resté de ce premier opus pour ainsi dire mythique ?
Ce sont les acteurs qui emportent largement le morceau. Un premier constat imparable qui ne diminue nullement les mérites de Tarantino puisque le metteur en scène a, pour ainsi dire, conçu tout le scénario comme un déclaration d'amour aux comédiens, déjà mis en valeur par un titre insistant sur leur charme et leur férocité ''animales''. Et le quatuor vedette Keitel-Buscemi-Roth-Madsen est largement à la hauteur. Malgré le goût très prononcé de Tarantino pour la frime et la démonstration facile de ses talents de dialoguiste (tout de même nettement plus tenus que dans Pulp Fiction et quasiment concentrés sur la scène d'ouverture et celle de l'histoire apprise par cœur par Mr Orange), ceux-ci ne cèdent presque jamais au cabotinage: enragés, incapables de rester en place (sauf par la force d'une balle dans le bide), cool en apparence mais perpétuellement sous pression, alternativement sympas et terrifiants, ce sont des bêtes fauves que l'absence du maître (impeccable Lawrence Tierney, autre fantasme de cinéphile, avec Harvey Keitel, que Tarantino avait probablement découvert dans Dillinger et Né Pour Tuer, deux polars des années quarante) conduit immanquablement à s’entre-déchirer. Ils sont intenses, jouent le jeu à cent pour cent et leur prestation, pour nombre d'entre eux, reste une pierre angulaire de leur carrière.
Coup d'essai, coup de maître. Les emprunts sont innombrables (Ringo Lam n'est pas le seul concerné, loin s'en faut), le sujet mille fois traité, pourtant Reservoir Dogs conserve la même fraîcheur et la même énergie à chaque vision. L'effet de surprise n'est plus là, c'est certain, mais le film semble ne devoir jamais vieillir, de la même manière qu'une pièce de Molière dont le sujet désuet n’appauvrit jamais la modernité du ton et la précision maniaque de la narration. Tarantino prouvait qu'il avait du tempérament (la violence est à la fois gratinée et amenée avec une science achevée du crescendo dramatique), savait chronométrer un script comme personne et filmer un huis clos en faisant presque oublier l'unité de lieu tant les digressions sont nombreuses (les référence à Garde-à-Vue sont assez flagrantes). Paradoxal dans sa démarche (démontrer sa maîtrise et l'ampleur de son talent sur un sujet sans aucune prétention, là où un Robert Aldrich n'avait pu s'empêcher d'injecter un sous-texte ambitieux dans son extraordinaire Kiss Me Deadly), ce prodigieux ''petit film'' n'accusait comme unique défaut qu'une certaine absence d'authentiques personnages.
Quoi qu'il en soit Reservoir Dogs reste pour ma part le meilleur film de Quentin Tarantino.
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