Tout le monde a déja vu un film de Quentin Tarantino ( ne serait-ce que le premier "Kill Bill", son "most famous of all time" ). Enfin, je l'espère. Son dernier film venant juste de sortir il y a quelques semaines, je me suis, récemment, lancé dans une rétrospective de l'art du bonhomme. Pour bien la commencer, je me suis donc concentré sur sa première oeuvre, "Reservoir Dogs".
Voyez-vous, j'ai, alors que je le terminais, fait un constat que je n'avais jamais ressenti jusque là : je préfère le Tarantino fauché, à celui qui a les moyens de faire tout ce qu'il veut. Je préfère le voir se débrouiller comme un malade pour cacher son manque de moyen ( en tournant tout son film, ou presque, dans un décors de théâtre de quartier ), plutôt que de sentir qu'il en a tellement, d'argent, qu'il ne sait plus quoi en faire, et tombe dans un excès d'hémoglobines assumé.
Car en y repensant à deux fois, ce n'est qu'avec Kill Bill que Tarantino est tombé dans une violence extrême; l'acquisition de moyens plus élevés lui ayant ouvert de nouvelles portes, il ne s'est visiblement pas gêné pour en enfoncer d'autres encore, jusqu'à finalement perdre tout sens de la mesure. Ici, le mec fait avec ce qu'il a, c'est à dire rien : pour résumer, il fait son film avec sa bite et son couteau. Je pense que l'on tient là la bonne manière pour résumer tout l'art du bonhomme.
Parlons donc, plus en avant, de "Reservoir Dogs". Concrètement, l'on tient là un véritable film de cowboy. Les rapports que les personnages entretiennent entre eux ne sont pas loin de rappeler les oeuvres de John Woo et de Leone, avec du Tarantino en plus, le tout trouvant son apogée dans le gunfight final, mythique dès lors qu'il est lancé.
J'aimerai également ajouter, avant de poursuivre plus en avant dans l'article, que c'est véritablement le manque de moyens de QT qui rend son oeuvre si unique et particulière : il se démène, et ça se voit ( notamment dans la scène de l'oreille, qu'il parvient à rendre encore plus puissante, encore plus sidérante par l'emploi de la suggestion ). Du génie.
La personnalité de l'oeuvre est donc particulièrement bien trempée : l'artiste impose son style, sa marque de fabrique : dès le début, on comprend que le mec marquera son époque. Qui, de sa génération, a commencé sa carrière en dissertant sur le sous-propos de la chanson Like A Virgin, de Madonna? Sans déconner? Où est-ce qu'il l'a trouvée, l'idée?
Là, tu comprends que Tarantino est un homme particulier, autant que l'est son film, et que le sera sa carrière. Huit films en vingt ans, c'est quand même pas vachement prolifique. Le plus surprenant, dans l'histoire, c'est qu'en huit films, voilà que le bonhomme est parvenu à complètement influencer le cinéma, notamment les petites séries b qui tentent de faire leur petit trou dans leur petit coin.
Ce qui a le plus changé la face du cinéma ( c'est un peu excessif comme terme, mais c'est le seul que j'ai trouvé sur le coup ), c'est sûrement son approche des dialogues : originales, les répliques se basent sur des thèmes communs dans notre vie de tous les jours, mais rarement, voire même jamais, utilisés dans le monde du septième art.
Fallait quand même oser parler de pouliches en introduction, sérieux. Pour le coup, la technique de l'artiste est, sinon impressionnante, d'autant plus virtuose qu'il existe une réelle maestria dans les thèmes rebattus, dans les mots utilisés, tellement bien choisis qu'ils parviennent même à créer une certaine ambiance, une ambiance toute particulière et marquante comme pas deux.
Il a la science des mots, sais les employer d'une manière suffisamment fine et habile pour nous surprendre complètement. Et puis faut quand même lui concéder qu'il est foutrement drôle, le mec. L'humour, fendart, fait d'abord penser à une comédie; le reste le confirmera, le film adopte, rapidement, un ton sérieux.
Cela pourra déplaire à certains, qui ne s'attendaient sûrement pas à un pareil résultat, mais c'est que je l'ai adoré, ce résultat ! Pour bien résumer, les dialogues sont de l'or en barre, des barreaux de crystal, du chocolat version diamant, avec un soupçon de Sergio Leone dedans, et une foule de références cinématographiques.
Comment bien parler du travail accompli sur les personnages? Ils ont tous une manière différente de s'exprimer, d'agir, d'être; à l'évidence, cela leur offre de la profondeur, de la crédibilité, du réalisme, de la cohérence avec l'univers proposé par l'artiste. C'est que les mecs font sacrément vrais, véridiques; c'est comme si l'on y était, car il existe cette proximité entre eux et nous, tant ils s'expriment comme nous, et tant l'on aimerai agir comme eux.
Le scénario est lui même extrêmement bon. Par manque de moyens, QT a l'idée de génie de placer l'action non pas avant l'opération, mais après; chose jamais vue dans le genre ( à ma connaissance ), et d'une redoutable efficacité. Non seulement c'est imprévisible, mais le huis clos qui en découle est terriblement passionnant, au point de se faire un sang d'encre pour chacun des personnages. C'est oppressant, stressant, bref, l'on vit l'action qui se déroule sous nos yeux. Ajoutez-y un véritable aspect dérangeant, et je vous laisse imaginer la puissance de l'impact sur le spectateur.
J'aimerai également préciser que Tarantino à un sens tout particulier de la mise en image de ses pensées, et du cadrage de ses plans, notamment dans sa manière de gérer le hors cadre; le résultat est souvent saisissant. Ca prend aux tripes, jusqu'à nous retourner complètement. J'apprécie également son rapport tout particulier entre image et son, entre virtuosité cinématographique et musique des seventies qualitative. Son style, imposé du début à la fin, marque surtout par son originalité, son côté frais, amenant du fun à un genre derechef sérieux.
Avant de conclure, précisons, en plus de tout ce que nous avons évoqué, la performance des acteurs. Là, c'est encore fabuleux : tous y croient, s'investissent, se donnent à fond. Surtout Harvey Keitel, loin de Scorcese et placé producteur du film, et sans qui rien n'aurait été possible. Ou encore Tim Roth, prodigieux dans son premier rôle sur grand écran. Et que dire de Michael Madsen, qui trouvait ici le rôle de sa vie, lui qu'on a vu s'égarer film après film dans des productions fauchées pas même méritantes du quart de son talent?
Tout le long du film, c'est une pépite à laquelle on goûte, une véritable bombe atomique cinématographique, un ovni dans le paysage du cinéma américain. Le résultat est révolutionnaire, couillu, burné, novateur : en bref, c'est Tarantino qui entre en scène, Quentin qui module le cinéma à son image, celle d'un esprit dérangé et fort de toutes ses références culturelles. Le film qui m'a donné l'envie d'écrire des dialogues, de les peaufiner, de les mettre au service de l'intrigue, des personnages, mais également, et surtout, au service du lecteur. "Don't shoot this guy".
En bonus, deux phrases magnifiquement géniales, témoignant du talent du mec :
- "Pour être crédible chez les truands, faut être Marlon Brando".
- "Ca glousse comme une vallée de pucelles dans le réfectoire." Le mec impose définitivement son style.