(Cette critique contient des spoilers, que je juge nécessaires afin de mieux analyser le film.)

"Wake in Fright" (a.k.a. "Outback") est un film de 1971 de Ted Kotcheff, alors jeune réalisateur Australien, qui grâce au succès critique qu'il obtint lui permit d'être approché par Hollywood et de sortir (entre autres) le premier Rambo, véritable monument du cinéma US (on y retrouvera le thème commun de l'animalité de l'Homme). Notons que le film à laissé Martin Scorsese sans voix non pas une mais deux fois, en 1971 et en 2009.

Longtemps oublié et considéré film obscur et perdu du cinéma Australien (il n'existait alors qu'une copie et en très mauvais état, ce qui rendait impossible une sortie commerciale en DVD), 2004 fut pour ce film une année salvatrice. En effet une copie en très bon état (et non amputée) fut retrouvée dans un container portant le label "For Destruction". Une aubaine donc, et c'est précisément cette copie qui servira de base pour ressortir le film en 2009 dans une magnifique version restaurée afin de rendre justice à ce classique.

D'emblée, le film impose son cadre (le bush Australien) via un plan panoramique d'une rare efficacité, indiquant au spectateur qu'effectivement, la ville de résidence de notre protagoniste n'est pas bien vivante : un bar crasseux, des rails, et une salle de classe qui regroupe des enfants de tous âges. C'est dans ce contexte et précisément dans cette salle de classe que John Grant et ses élèves, tous somnolents et écrasés par la chaleur étouffante n'attendent qu'une chose, que la journée se termine et que les vacances de Noël débutent.

Homme très propre sur lui (il refuse une bière offerte par un inconnu dans le train), très classe avec ses lunettes de soleil et son costume à la mode, John va se retrouver confronté avec la vie dans l'outback Australien comme jamais, et avec une rare brutalité.

Enfin libéré d'une tâche qui ne lui plaît vraisemblablement pas, l'instituteur John Grant, "esclave" de l'éducation nationale Australienne n'a qu'une envie, rejoindre Sydney où sa jolie copine l'attend. Avant de prendre son vol, il doit néanmoins passer une nuit dans la très typique ville de Bundanyabba (ou Yabba). Rien de bien méchant au fond.

Have a drink, mate ?

Clairement, il n'est pas du coin, et tout le monde le sait. Mais tout le monde est sympa à Yabba, la criminalité est basse, le Shérif est très entreprenant (trop peut-être) (notons qu'il s'agit du dernier rôle de Chips Rafferty, véritable monument Australien mort d'une crise cardiaque avant la projection du film, d'ailleurs la majorité des scènes ont été tournées près de sa ville natale). La coutume locale encouragée ici par le Shérif, est d'offrir une bière (à boire d'une traite), puis deux, puis 3...

En plus de la bière qui est bien plus consommée à Yabba que l'eau (qui ne sert qu'à se laver), les habitants aimer parier de l'argent en jouant à un jeu très simple nommé le "Two-up". John qui se posait alors comme un simple observateur d'un soir des coutumes locales, est alors encouragé par le Shérif (et surtout par l'alcool qu'il commence à consommer avec un peu trop d'entrain) à s'amuser. Tout se passe bien, il rigole, il boit, il mange un bon gros steak et il gagne 400$ en 5 minutes. En homme sérieux, John rentre alors chez lui, il est heureux. Heureux ? Non, s'il pouvait gagner 1000$, somme avec laquelle l'Etat le tiens prisonnier dans son trou perdu, il pourrait alors arrêter d'enseigner et vivre la vie qui lui plaît. Grossière erreur, il rejoue et perd alors tout son argent.

C'est à partir de ce moment là que tout s'enchaine pour John, il n'a plus rien, mais les gens du coin se proposent de l'aider. Au fur et à mesure des verres qui s'enchaînent trop rapidement, il perd peu à peu son élégance au point de se fondre complètement dans le portrait local : des hommes saouls, de la bière par litres, la chasse et le jeu.


Have a fight, mate ?

Une descente aux enfers qui se met en place progressivement, qu'il parvient à repousser par intermittence au départ, mais c'est bien plus profond que cela, c'est en lui. Cette bestialité qui atteint son paroxysme lors de la scène de chasse aux kangourous par cette bande de types violents complètements bourrés. John est alors métamorphosé, une lueur de folie dans les yeux, il en vient au corps à corps avec un Kangourou blessé. Pourquoi ces chasses ? Pour le sport, c'est comme ça à Yabba, c'est pour montrer qu'on est un bonhomme.


Have a taste of dust and sweat, mate ?


L'outback aura fait ressortir en John sa partie la plus sombre, la plus animale. La folie qui l'atteint peu à peu lui fait perdre son rapport au temps, à l'argent, à l'Être. Il n'est plus qu'un homme brisé, conscient seulement dans ses rêves via des flashbacks de sa copine, qui semblent être de moins en moins présents, remplacés par les horreurs qu'il vit ou qu'il invente totalement.

La violence lui semble être alors la seule échappatoire dont il dispose, une violence contre les autres, et finalement contre lui-même.

Son calvaire terminé, il reprend sa routine en tant que professeur raté, mais quelque chose à changé : dans le train qui le ramène au point de départ du film, John accepte une bière d'un inconnu.


There's nothing else out there.


Énorme film sur le patrimoine Australien, "Wake in Fright" est un film poisseux, collant, étouffant, doté d'un thème musical entêtant et d'un casting hallucinant de vérité. Absolument tous les rôles sont justes, de la tenancière de l'hôtel à demi érotique aux crasseux ruisselants de sueurs et d'alcool, en passant par les rôles excellents du Shérif à la fois accueillant et détestable, au Doc qui incarne au début un semblant d'humanité mais qui se révèlera être le plus animal et le plus dérangé de tous, le film colle encore à la peau après visionnage.

La scène de chasse est en réalité tirée d'une véritable chasse aux Kangourous, l'équipe du film ayant du simuler une panne de courant pour que la fusillade s'arrête. En effet les chasseurs pourtant professionnels, étaient au fur et à mesure de plus en plus alcoolisés et se mettaient à tirer dans tous les sens et à tuer trop d'animaux, ce qui a fini par écœurer l'équipe du film. Cette scène fait partie des plus dérangeantes du film, et en 2009 12 personnes ont quitté la salle à ce moment là.

Le film gagnerait à être plus connu, il est en effet un des deux seuls films à avoir été projeté deux fois à Cannes (1971 et 2009), et a reçu des critiques positives à chaque fois. Il ne laisse pas indifférent, il dérange par son ton cru, mais est doté d'une âme singulière, d'une qualité de réalisation rarement vue et d'un rythme atypique. Notons qu'il est doté pour le moment d'une appréciation de 100% sur le site RottenTomatoes.

Je vais conclure cette critique par une anecdote incluant l'acteur du film Jack Thompson :

During an early Australian screening, one man stood up, pointed at the screen and protested "That's not us!", to which Jack Thompson yelled back "Sit down, mate. It is us."
CaptainSmoke
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le 5 mai 2014

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