Tiré du roman de Kenneth Cook, Wake in Fright aura connu un destin loin d'être banal. Tourné pour 700 000 dollars, dans des conditions que l'on imagine difficiles, le film participera grandement à l'essor du cinéma australien, qui explosera avec des bandes frappadingues dont le plus connu reste la bombe Mad Max. Pourtant, le long-métrage connaitra un échec à sa sortie et disparaitra des radars pendant quarante ans, jusqu'à ce qu'une copie flambant neuve ne sorte des placards et enflamme le festival de Cannes, où il fut d'ailleurs présenté en 1971. Juste retour des choses.
Tourné par Ted Kotcheff, futur metteur en scène de First Blood, Wake in Fright reste encore aujourd'hui l'électrochoc qu'il a toujours été. Une oeuvre complètement dingue, inclassable, à nulle autre pareille, qui tape là où ça fait mal et qui vous écrabouille les parties alors que vous êtes encore à terre. Impossible de se relever après ça, impossible de voir la vie du bon côté, de se rassurer en se disant que tout va bien.
Rien ne va dans Wake in Fright, long cauchemar éveillé nous plongeant aux portes d'un enfer fait de sable et de poussière, de beuveries et parties de chasse, où refuser une bonne bière peut vous conduire directement au cimetière. Languissant dans ses premiers instants, le film accélère petit à petit, doucement mais sûrement, puis fonce à toute allure, jusqu'à ce que la collision ne soit inévitable.
Filmant son petit monde dans toute la splendeur de sa crasse et de sa bêtise, Ted Kotcheff signe une oeuvre inconfortable et éprouvante, formellement splendide, un musée des horreurs où l'homme retrouve la place qui est la sienne, celle d'un animal impitoyable et définitivement perdu. Un ride sans retour à la lisière du fantastique, une boucle temporelle proche de la Twilight Zone où il est quasiment impossible de s'échapper, une horreur sans fin culminant dans une chasse aux kangourous traumatisante et controversée. Refusant catégoriquement de tuer le moindre marsupial pour le seul besoin d'un film, le metteur en scène captera en direct la traque de chasseurs plus ou moins bourrés, pour ajouter ensuite au montage des plans séparés des comédiens. A l'arrivée: un massacre absolument gerbant et insoutenable, où plus de deux cents kangourous trouveront la mort, Kotcheff ne conservant ensuite que les images les plus "soft" d'un acte abominable qu'il condamne... tout en y prenant part indirectement. Une séquence choc que l'on peut légitimement remettre en question mais qui renforce la folie d'un film mettant à jour la connerie d'un monde totalement déglingué.
Nihiliste, onirique, perturbant et porté par des comédiens à la limite de la schizophrénie (mention particulière pour un Donald Pleasance complètement fou), Wake in Fright est un voyage au coeur des ténèbres dont on ne sort pas indemne, un classique oublié et longtemps invisible à l'équilibre fragile et d'une beauté sauvage proprement tétanisante.