Critique pour Le Bleu du Miroir
Le film dit d’horreur a longtemps été l’apanage de réalisateurs, avec des productions trustées par de grands méchants sadiques face à de fragiles midinettes, qui arrivaient cependant parfois à s’en sortir. Avec l’avènement d’un style horrifique de genre, et la prise de caméra de plus en plus fréquente par des réalisatrices tenaces, la tendance semble inversée cette délectable courbe macabre et le grand écran se retrouve enfin doter de Buffy iconique : forte et humaine, mais avec des faiblesses.
Grave, signé par Julia Ducournau et sorti en mars dernier, est l’un des exemples de 2017. 2018 sera sans nul doute marqué par le Revenge de Coralie Fargeat, avec Matilda Lutz en héroïne féministe, qui tient une revanche sanglante loin d’être gratuite, au terme d’une chasse à l’homme palpitante et impitoyable. Et si le titre du film révèle d’emblée la trame narrative, le fond comme la forme n’ont rien de prévisible. Marquée par une esthétique expérimentale, la photographie est saturée par des couleurs pop flirtant avec une ambiance hallucinogène, contrastant brillamment avec la barbarie de l’histoire et permettant de faire voler en éclats les clichés enracinés de la féminité et de l’abus dont les femmes sont victimes. Grâce à un rythme effréné, la réalisatrice française, dont c’est le premier long, opère un véritable exercice de style pour un survival dans lequel les strass d’Hollywood se muent en ode badass féministe.
Dès les premières images, Jenifer, incarnée par Matilda Luzt, est écrasée par la domination de son amant qui la réduit à un objet sexuel. Alors rejoints par deux amis de ce dernier dans une villa isolée en plein désert, elle va être victime d’un viol par l’un d’eux justifié par cette bonne vieille marotte qu’une allumeuse n’a que ce qu’elle mérite. Fuyant ses agresseurs à travers le sable brûlant, elle se retrouve au cœur d’une traque, filmée sur un fond d’auto-objectification de sa plastique afin de mieux dénoncer la culture du viol et les violences faites à la gente féminine. Une renaissance cinématographique s’enclenche dans la chaleur crasse des dunes, métaphore de la femme comme héroïne du quotidien face au patriarcat. Le survival devient ainsi une hyperbole féministe féroce, pour une vengeance piquante façon Kill Bill mais à la sauce française.
LE MALE GAZE AU PLACARD
Une revanche sanguinolente où les niveaux de lecture sont pluriels. En ouverture du film, Jenifer possède tous les apparats de la soi-disant féminité de la bimbo, allant jusqu’aux boucles d’oreilles roses en forme d’étoiles. Elle se meut de manière langoureuse, son tee-shirt fuchsia dévoile son corps sculpté pour le papier glacé et elle use de sa beauté pour charmer son auditoire masculin. Une façon d’être qui semble autoriser les dérapages, mais que Coralie Fargeat va réprimander sévèrement. De Lolita, son actrice à la chevelure blonde va se transformer en Lara Croft. D’objet, l’héroïne devient sujet et la pulsion sexuelle dont elle a été victime réveille en elle une pulsion meurtrière dévastatrice qui revendique, de manière ultra-gore, son droit à être qui elle souhaite.
Filmer son actrice avec un male gaze permet alors à la réalisatrice de mettre en exergue l’hypocrisie et la violence faites à l’encontre des femmes, physiquement et moralement. Car « le corps de la femme reste un enjeu politique et un espace de négociation de premier ordre. Qu’il soit considéré comme objet ou sujet, il est le réceptacle et l’écran de diverses formes de violence (physique, symbolique, morale, etc) ainsi qu’un outil de contestation ». Un regard masculin hétéro-normé qui impose une vision spécifique sur le sexe féminin que Coralie Fargeat s’approprie pour le renverser et positionner Jenifer dans une dynamique de prise de pouvoir.
Laissée pour morte en bas d’une falaise tandis que son amant brûle ses affaires restées à la villa, Jenifer renait de ce brasier et se débarrasse du superflus comme enfin émanciper d’une autorité désuète. Elle se réapproprie son destin en pansant ses blessures et dès lors devient une guerrière redoutable qui va faire mordre la poussière au trio impudent. La transformation physique et vestimentaire qui s’élabore tout au long du film devient miroir de l’affirmation de l’héroïne, sans pour autant renier la personnalité du personnage. Face au dénuement se libèrent une force et une pugnacité ardentes, un feuillage qui paradoxalement devient bouclier face à l’oppression. Car si l’actrice se retrouve dévêtue, conservant partiellement ses étoiles roses, elle endosse l’armure de la combattante. Et le bain de sang n’en sera que plus jouissif, elle-même n’étant pas épargnée dans cette boucherie amicale mais venant à bout de ses détracteurs un à un, gardant l’amant perfide pour la fin.
Et alors que ce dernier assène un cliché vieux comme la règle grammaticale du myosine Nicolas Beauzée, « les femmes, vous faites toujours des histoires pour rien », Jenifer mettra le point final dégoulinant de rouge à cette épopée suite à un cache-cache haletant entre les quatre murs de la villa, devenu sanctuaire du triomphe féminin.
Dès lors, peu importe que l’héroïne soit blonde ou brune, Lolita ou Croft, elle assoit son droit à être l’une ou l’autre, voir les deux, car c’est une liberté humaine universelle, pourtant est loin d’être acquise, et balance une bonne cartouche vengeresse dans cette pratique, encore trop souvent légitimée, du viol.