Centre névralgique d'un futur petit groupe en formation, le shérif John T. Chance (John Wayne) et son adjoint Dude (Dean Martin) alcoolique notoire, conservent le calme urbain de la bourgade de Rio Bravo après avoir mis Joe Burdette (Claude Atkins) en prison.
Comme pour se rappeler au bon souvenir des vertus de la cinématographie, Rio Bravo s'ouvre sur une séquence où le verbe est absent. Le terme muet est inadequat tant la place accordée au son illustre l'action avant d'être accentuée méthodiquement par la musique de Dimitri Tiomkin. Howard Hawks n'aura jamais eu autant confiance en son art calé sur cette note d'intention taiseuse pour introduire sa paire de héros et son antagoniste, lui qui rythmait autrefois La Dame du Vendredi par un flux ininterrompu de paroles. Ce contre-pied artistique où l'image domine et où le son emplit les interstices provoquées par la violence de l'onde de choc ramène le Septième Art à ses origines, celui du sens donné au plan. Aussi étrange que cela puisse paraître, Howard Hawks's Rio Bravo imposera sa prolixité dans sa seconde séquence d'exposition -l'arrivée du convoi de pétrole conduit par Pat Wheeler et Colorado (Ward Bond et Ricky Nelson) durant l'enterrement d'un pauvre bougre- comme une contradiction avouée de la première. À partir de ce constat, on peut tout à fait lire l'introduction comme un court-métrage puis se résoudre à accepter la théâtralité -verbeuse- de la séquence suivante. Les actes défensifs/offensifs déterminent les aptitudes physiques de Chance et Dude face à l'adversité, le corps de Wayne faisant foi. Le verbe, quant à lui, illustrera la sagesse et la maîtrise de soi du vétéran Wheeler. Colorado, la bombe à retardement, victime impétueuse de la jeunesse complète le carré d'as. Car c'est bien la question de savoir où est-ce que se situeront les axes de progression scénaristique de Rio Bravo et avec quel(s) choix artistiques/scénaristiques le spectateur devra-t-il composer ? Dans cette perspective, Hawks compte sur l'ambivalence ludique insérée malicieusement en préambule détournant impunément les attentes du spectateur. John Wayne charrie une invincibilité au fil des métrages ? Qu'à cela ne tienne, il sera abattu d'un coup de gourdin au bout de deux minutes de film. Joe Burdette invite Dude à boire un verre ? Il ne tardera pas à lancer un dollar dans un crachoir clarifiant ses mauvaises intentions. Dude corrige Chance ? Il lui sauvera la mise la scène suivante. Colorado cédera-t-il à la fougue du fait de son inexpérience ? Chance le trouvera au contraire sensé et étonnamment sûr de lui. Et toute l'exposition fonctionnera à l'aune de cette dynamique tout en fausses pistes tant sur le plan du verbe, de l'image, du rythme que de la caractérisation des personnages. Rio Bravo prend plaisir à tromper son monde et alors que le spectateur mise sur son quatuor de tête, Wheeler est tué d'un coup de winchester en pleine rue. Le film n'en est qu'à 30 minutes que les compteurs sont d'ores et déjà remis à zéro. Angie Dickinson subtilisera en douceur la place de Ward Bond innoculant la sève féminine idéalement obligatoire à une entreprise patriarcale dominée par des mâles alpha. Et comme il se doit, elle arbore une personnalité à double facette plongeant Chance dans la perplexité puis dans l'erreur. Un couple nait.
Jamais l'association d'un scénario et d'une mise en image aura scellé un amour artistique aussi prononcé. Le classicisme formel de Hawks donnant corps à l'écriture moderne de Leigh Brackett comme une charpente minutieusement construite avant d'en révéler un vaste édifice filmique. Dans cet esprit de clarté, l'écriture de Brackett n'aura de cesse de jouer avec les règles à l'instar d'une boîte manuelle passant les rapports avec aisance. La rétrogradation du rythme imposée par l'entrée en scène de nouveaux protagonistes puis les joutes verbales issues d'une screwball-comedy font suite à une tension locale contenue dans la petite ville. Les mécanismes scénaristiques permettent de relancer l'action sans y voir poindre la moindre artificialité. Mais de cette machine littéraire si parfaite, il est à se demander si les enjeux de Rio Bravo soit la pacification d'une petite ville de l'ouest ne cachent pas en réalité un propos nettement plus conservateur: celui de la création d'un foyer doté de membres aussi disparates les uns des autres.
Le western de Hawks vise une certaine universalité, celle de l'attraction des êtres au travers des sentiments. Non que l'antagonisme ne soit pas au centre des attentions, il y est même plutôt identifiable et pugnace. Après tout, l'un des frères Burdette est interprété par Claude Atkins, futur Bad Guy d'une autre pièce de roi, le Comanche Station de Bud Boetticher. Mais l'équilibre entre les sentiers de la guerre et la decouverte d'autrui tend à faire pencher la balance vers le plan humain. Rio Bravo se nourrirait d'une générosité à l'égard de ses personnages en lieu et place de ses éclats de violence. Le manichéisme d'ordinaire très prisé par le genre se verrait ici instrumentalisé afin de servir la solidarité ou l'altruisme. La création d'un collectif amical selon le fameux proverbe "L'union fait la force" se fait charnière de l'intrigue et joue constamment sur des tropes westerniens. Chance/Dude est une amitié mise à mal par l'alcool et le devoir professionnel. Une fausse fratrie desservie par des destins parallèles amoureux appellant au bonheur ou au malheur. Chance et Feathers filent le parfait amour dans une mécanique hollywoodienne impeccable de romance contenue. Il ne reste que les pièces rapportées et générationnelles du père Stumpy (Walter Brennan) et du fils d'adoption Colorado pour compléter cette famille de substitution.
Un pied classique dans le passé, l'autre dans l'écriture de demain, Rio Bravo appartient déja à la pré-modernisation du cinéma. Celle qui amènera John Carpenter et Quentin Tarantino à considérer l'enfant de Hawks comme l'un des plus grands films de l'histoire du Cinéma.